Après avoir achevé ce chapitre, le lecteur sera en mesure :
1. de décrire l’évolution de la portée de la médecine contemporaine;
2. de définir et de décrire les concepts de la santé, du mieux-être, de la maladie ressentie (illness), de la maladie diagnostiquée (disease) et de la maladie en tant que phénomène social (sickness);
3. de distinguer entre les concepts déficiences, incapacités et désavantages;
4. d’aborder les concepts du parcours de vie et de l’histoire naturelle des maladies, particulièrement en ce qui concerne les interventions possibles en santé publique et sur le plan clinique;
5. de décrire le champ de la médecine intégrative;
6. de décrire comment les déterminants médicaux, sociaux et spirituels de la santé et du mieux-être des membres des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis influent sur leur santé.
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Les mots en MAJUSCULES sont définis dans le Glossaire.
Douleur thoracique – maladie ou symptôme?
Introduction : la médecine, un domaine dont la portée s’élargit
Au cours des 50 dernières années, la longévité, la santé et le mieux-être de la population canadienne ont fait des gains sans précédent. L’assainissement de l’environnement, les politiques de santé, l’évolution des modes de vie et les percées thérapeutiques ont contribué à l’amélioration de la durée et de la qualité de la vie. Il est aujourd’hui très possible d’être octogénaire.
La santé s’améliore au Canada
Les taux de mortalité sont en baisse depuis de nombreuses années. Avec une correction statistique pour la hausse de l’âge moyen de la population, la mortalité au Canada, toutes causes confondues, est passée de 8,8 décès p. 1 000 habitants en 1950 à 7,0 en 1985, ensuite augmentant à 7,9 en 2023. Des projections suggèrent un taux de 10,5 en 2050. Cependant, l’âge moyen au décès augmente et la mortalité prématurée (les décès chez les personnes de moins de 75 ans) est passée de 5,4 années de vie potentielle perdues p. 1 000 en 1981 à 2,8 en 2013.
Parallèlement, l’espérance de vie, soit le nombre d’années qu’un nouveau-né canadien peut s’attendre à vivre, est en hausse. L’espérance de vie à la naissance est passée d’environ 71 ans en 1961, à près de 79 ans en 1996, ensuite à 82 ans en 2019.
Étant donné que les nouveau-nés dépendent entièrement d’un environnement favorable, la santé des nourrissons fournit un bon indicateur des conditions économiques et sociales générales, y compris la qualité des services de santé. Le taux de mortalité infantile au Canada est en baisse depuis 50 ans. En 1982, il y avait 9,1 décès de nourrissons p. 1 000 naissances vivantes. Ce taux était de 5,6 en 1996 et se situait à environ 4,4 en 2021. Malgré cette baisse impressionnante, ce chiffre situe le Canada loin derrière certains autres pays industrialisés, tels que la France, à 2,7 ou le Japon, le champion dans cette catégorie, qui ne déclare que 1,6 décès p. 1 000 naissances vivantes en 2022.
Parmi les autres tendances en matière de santé, on retrouve les suivantes :
La Société canadienne du cancer a résumé les tendances du cancer en 2022. Le cancer représente la première cause de mortalité au Canada, mais la survie a augmenté. Environ un Canadien sur deux sera diagnostiqué avec un cancer pendant sa vie et 1 sur 4 en mourra, soit environ 81 000 décès en 2022.
Bien qu’en baisse constante, le cancer du poumon reste globalement la forme la plus diagnostiquée (environ 30 000 nouveaux cas et 20 700 décès en 2022), suivi du cancer du sein (28 900 nouveaux cas et 5 500 décès) et de la prostate (24 600 cas, dont 4 600 décès). Les taux d’incidence de la plupart des cancers sont en déclin, mais le nombre croissant de personnes âgées implique que le nombre absolu de cas va augmenter et avec cela, la demande pour les services de soins.
Grâce à une combinaison de changement d’habitudes, de mesures préventives et d’améliorations de traitement ont réduit à la fois l’incidence et les taux de mortalité des maladies cardiovasculaires. Environ 20 % de tous les décès (environ 54 000 par an) sont désormais attribués aux maladies cardiovasculaires. Mais ces maladies touchent des personnes relativement jeunes et ainsi elles constituent la principale cause d’années de vie perdues en raison de mortalité prématurée. Bien que l’incidence des maladies cardiaques ait continué de diminuer, le vieillissement de la population signifie que le nombre total de cas a légèrement augmenté, notamment pendant la pandémie de COVID.
L’incidence du diabète a augmenté au cours des 20 dernières années, mais les taux de mortalité ont fluctué pendant 50 ans sans tendance claire. Cet effet est vraisemblablement dû à des améliorations dans la gestion de la maladie opposées par des augmentations de facteurs de risque tels que l’obésité.
Les décès dus aux maladies respiratoires sont passés de 60 p. 100 000 habitants en 1960 à moins de 40 p. 100 000 habitants en 2009, principalement en raison des meilleures conditions de travail et des taux réduits de tabagisme. Mais l’impact du COVID a inversé le déclin.
Les homicides sont passés de 2,3 p. 100 000 habitants en 1981 à 1,7 en 2015. Les décès dus au suicide varient, mais ont connu une hausse de 3,5 p. 100 000 habitants en 1960 à 11,8 p. 100 000 habitants en 2019. L’impact du COVID a causé une augmentation des idées suicidaires, mais les chiffres définitifs ne sont pas encore disponibles.
Malgré le nombre croissant de véhicules, le nombre de décès annuels dus aux accidents de la route a baissé de 69 %, passant de 5 933 en 1979 à 1 834 en 2014, une réussite spectaculaire de la santé publique. Du point de vue des taux, il y a eu 27 décès dus aux accidents de la route p. 100 000 habitants en 1960, 24,6 p. 100 000 habitants en 1976 (alors qu’on adopte au Québec et en Ontario une loi sur le port des ceintures de sécurité), passant à 17,3 en 1986 (alors que la loi est en vigueur dans chaque province), et diminuant encore à 5,2 p. 100 000 habitants en 2014. Les véhicules et les routes deviennent plus sûres : le taux de mortalité a chuté de 1,57 p. 10 000 véhicules à moteur en 2002 à 0,67 en 2021.
Cela peut sembler étonnant, mais l’amélioration de la santé n’a pas allégé la tâche des médecins et nos attentes ne cessent d’augmenter. Le grand public s’attend à ce que de nouveaux traitements soient développés pour guérir des affections auparavant intraitables. Les médecins sont appelés à élargir l’éventail des affections qu’ils traitent. L’hyperactivité chez les enfants, l’infertilité, le gain de poids chez les adultes d’âge moyen ou les divers effets du vieillissement, entre autres, n’étaient pas considérés comme des problèmes médicaux auparavant. De nos jours, ces affections sont souvent les raisons qui amènent les patients à consulter, et il est probable que la liste s’allongera.
Les percées médicales spectaculaires sont excitantes, mais elles soulèvent des préoccupations. Premièrement, on craint qu’elles ne soient pas équitables : les améliorations de l’état de santé ne sont pas réparties également, et des tranches identifiables de la société présentent toujours un état de santé inférieur à la moyenne. Cela suscite des appels à l’action visant à réduire les INÉGALITÉS EN SANTÉ, dont il sera question dans le chapitre 2. Deuxièmement, les innovations thérapeutiques nous obligent à considérer les répercussions financières d’un système de soins de santé universels subventionnés par l’État (voir le chapitre 12). Troisièmement, l’envergure que prennent les soins a des implications philosophiques. Faire recours à des traitements médicaux pour les problèmes comme l’obésité ou le diabète de type II qui découlant dans une large mesure de nos modes de vie attire l’attention sur notre responsabilité personnelle et sociale. Une question pratique surgit de ces débats complexes : quelles affections les médecins doivent-ils traiter (et être rémunérés pour traiter), et quelle devrait être leur formation?
Dans le but de remédier partiellement à ces problèmes, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a publié le cadre CanMEDS dans les années 1990 afin de définir les compétences que devraient posséder les médecins et les rôles qu’ils devraient maîtriser pour fournir la meilleure qualité de soins possible au cours du nouveau millénaire.1 Aujourd’hui, en plus d’être des experts médicaux, les diplômés en médecine doivent être des communicateurs, des collaborateurs, des leaders, des promoteurs de la santé, des érudits et des professionnels compétents. On est loin du médecin en pratique privée d’autrefois qui s’engageait dans une relation de soins à long terme avec chacun de ses patients; le médecin est devenu un agent de la santé qui doit traiter ses patients, promouvoir de meilleures politiques, défendre les ressources en santé, continuer à apprendre et faire de la recherche.
Les discussions portant sur la délimitation de la médecine ont abouti à une conclusion surprenante : il n’existe aucun critère largement accepté pour définir ce en quoi consiste une maladie. Sous la double pression de l’offre (des entreprises pharmaceutiques ou des médecins) et de la demande (des patients et de la société), nous sommes amenés à considérer de plus en plus d’affections courantes comme des maladies. Le Viagra® a transformé l’impuissance (qui existe vraisemblablement depuis des milliers d’années) d’une source d’humiliation personnelle en un problème très médiatisé contre lequel on prescrit systématiquement un traitement. La définition élargie de la maladie présente à la fois des avantages et des inconvénients. Ivan Illich, ancien prêtre, critique social et polémiste, a souligné les dangers potentiels qui s’y rattachent dans ses propos sur « la société morbide ».
La société morbide
« Chaque civilisation crée ses propres maladies. Ce qui dans l’une est maladie peut être anomalie chromosomique, crime, manifestation de sainteté ou péché dans une autre. (…) Dans une société morbide prévaut l’idée qu’une mauvaise santé définie et diagnostiquée est infiniment préférable à toute autre forme d’étiquetage négatif ou à l’absence d’étiquetage tout court. Cela vaut mieux dire que d’être catalogué comme criminel ou comme déviant politique, comme paresseux, comme tire-au-flanc. De plus en plus de gens savent dans leur subconscient qu’ils sont fatigués et malades de leur travail et de leurs loisirs passifs, mais ils veulent qu’on leur mente et qu’on leur dise que la maladie physique les exempte de toute responsabilité politique et sociale. Ils veulent que leur docteur se comporte comme un homme de loi et comme un prêtre. » 2, pp 654, 657
La « non-maladie »
En 2002, le British Medical Journal lance un débat sur les attentes à l’endroit des médecins et la délimitation de la médecine. Richard Smith a recueilli des exemples de « non-maladie » et en a trouvé près de 200. Selon lui, la non-maladie est « un processus ou un problème humain qui, selon certains, correspond à une affection médicale, mais dont les résultats pourraient être plus positifs si elle n’était pas défini ainsi ». L’épuisement professionnel, la sensibilité chimique, les anomalies génétiques, la sénilité, la solitude, les yeux pochés, les problèmes liés au travail, la calvitie, les taches de rousseur et le décalage horaire en sont des exemples.
Smith veut souligner que la maladie est un concept fluide sans délimitation précise. Il fait remarquer divers dangers découlant d’une définition trop inclusive de ce terme : si une personne reçoit un diagnostic de maladie et devient un patient, elle peut se voir refuser une assurance, perdre son travail, subir un traitement effractif ou être stigmatisée d’une manière quelconque.3
Le débat est publié dans le British Medical Journal du 13 avril 2002, vol. 324, pages 859-866 et 883-907.
Maladie ressentie, maladie en tant que phénomène social et maladie diagnostiquée
Pour pouvoir traiter dans le détail du concept de la maladie, Susser a proposé certaines distinctions qui nous sont utiles.4 Il a privilégié l’expression « maladie ressentie » (illness en anglais) pour désigner la perception subjective d’un malaise; il ne s’agit pas d’une pathologie spécifique, mais plutôt de l’expérience subjective de la personne quant à son état, par exemple l’inconfort, la fatigue ou un malaise généralisé. La manière dont un patient signale ses symptômes est influencée par son origine culturelle, et Susser a privilégié l’expression « maladie en tant que phénomène social » (sickness) pour définir les conceptions culturelles et sociales liées aux affections de santé (p. ex., la crainte du cancer ou la stigmatisation associée à la maladie mentale), qui, en dernier ressort, influencent la réaction du patient (voir CULTURE dans le glossaire). De même, les conventions culturelles définissent la frontière entre la maladie et la non-maladie : on peut considérer la ménopause comme un problème de santé en Amérique du Nord, mais ses symptômes sont signalés beaucoup moins souvent au Japon.5, 6 La notion de « maladie diagnostiquée » (disease) déplace le point de mire vers des processus pathologiques qui peuvent ou non produire des symptômes et qui sous-tendent la maladie ressentie par un patient. Par exemple, un patient se plaint de fatigue et de malaise (maladie ressentie). Il juge bon de consulter un médecin car il pense être malade. Le médecin peut expliquer ses symptômes par une maladie de la glande thyroïde.
Le « modèle biomédical » de la maladie domine la pensée médicale depuis l’époque de Louis Pasteur (1822–1895) et la révolution microbiologique. Ce modèle porte principalement sur les processus pathologiques et sur la compréhension, le diagnostic et le traitement des aspects physiques et biologiques de la maladie. Le traitement vise à rétablir l’intégrité et la fonction physiologique du patient. Le diagnostic comprend l’identification et l’application d’une étiquette à une constellation de signes et de symptômes qui sont, du moins en partie, compris comme étant une structure ou un fonctionnement anormal des cellules, des organes et des systèmes. Ce modèle offre un fondement rationnel à la recherche de traitements efficaces. Par exemple, le profil de douleur thoracique de Paul Richard appelé angine de poitrine est compris biologiquement comme étant une affection des artères coronaires qui cause une ischémie cardiaque. Son traitement cherche spécifiquement à rétablir la circulation coronarienne et à réduire l’effort cardiaque.
Selon les premières conceptions biomédicales, une maladie était soit présente, soit absente : l’organisme était envahi ou non par une bactérie, par exemple. Cependant, la médecine s’est mise à traiter des affections, comme l’hypertension, qui se caractérise par un écart par rapport à des valeurs « normales », et on ne s’entend pas toujours sur la définition de normale. Ainsi, plutôt qu’être perçues comme des états se distinguant qualitativement de la santé, de nombreuses maladies doivent être considérées comme des seuils quantitatifs sur un continuum de variabilité biologique (voir les différentes définitions du concept de maladie dans Pour les mordus). L’hypertension peut être d’intensité légère, modérée ou grave, ou on peut la définir comme une pré-hypertension ou une hypertension de stade 1 ou 2. Les façons de définir une valeur « normale » sont abordées plus en détail au chapitre 6.
Autres approches pour définir la maladie
Fondement de la définition de la « maladie » | Commentaires |
Processus pathologiques (avec ou sans symptômes; pouvant être dépistés par imagerie diagnostique) |
La définition de « pathologique » peut être difficile à cerner, notamment dans les cas de troubles psychologiques ou comportementaux. Quelle est la frontière entre normal et pathologique? On doit souvent définir le seuil selon l’impact sur la fonction : voir ci-dessous. |
États anormaux menant à une fonction restreinte ou altérée du point de vue cellulaire ou à des niveaux supérieurs | Selon le modèle fonctionnel, le seuil des états qui nécessitent une intervention est défini selon son impact sur la fonction. On suppose également que, si la personne ne se plaint pas d’une déficience fonctionnelle, il n’est pas nécessaire de s’en faire. Par conséquent, des affections comme une perte progressive de la vue chez les personnes âgées pourraient ne pas être traitées. |
Maladie ressentie (illness) ou maladie en tant que phénomène social (sickness) produisant des symptômes désagréables | Voir note précédente. Le recours aux autres expressions (maladie ressentie ou maladie en tant que phénomène social) ne s’avère pas très utile; encore une fois, on suppose que la maladie doit produire des symptômes. |
Questions de réflexion :
• En l’absence de symptôme, s’agit-il d’une maladie? Devrait-on utiliser un autre terme, p. ex., « affection »?
• Qualité ou quantité? La santé et la maladie sont-elles des entités différentes ou simplement des points différents d’un continuum?
• Si des points différents d’un continuum, doit-on laisser tomber la notion de maladie et s’attarder uniquement aux différents niveaux de santé, passant d’un modèle catégorique à un modèle dimensionnel?
Suggestion :
• La maladie devrait peut-être se définir en tant que processus pathologique (physique ou mental) qui, en l’absence de traitement, donnerait lieu à une évolution naturelle produisant des symptômes et nuisant au bon fonctionnement de l’organisme.
• S’il y a lieu, le vieillissement serait-il une maladie? Pas nécessairement, étant donné que plusieurs personnes vieillissent et sont toujours en santé, bien que l’âge augmente la probabilité de maladies : l’âge comme facteur de risque (voir le chapitre 2).
Maladie ou syndrome?
Il se peut qu’ à mesure qu’on en apprend sur le fondement biologique de la maladie ressentie, elle se verra reclassifiée comme une maladie. Par exemple, on accepte maintenant que les sensations permanentes de fatigue sont l’affection médicale nommée « syndrome de fatigue chronique ». Lorsqu’un médecin identifie les plaintes d’un patient de manière officielle (pose un diagnostic), ces plaintes sont justifiées, et il se peut que le patient soit rassuré.7 Cependant, il arrive souvent qu’un ensemble de signes et de symptômes dépasse la compréhension biomédicale. Si l’ensemble est courant au point de présenter un profil reconnu, on le nomme « syndrome » — un ensemble de symptômes qui se manifestent en même temps, plus souvent que si seul le hasard était en cause. On a tendance à apposer des étiquettes explicatives aux maladies (« AVC hémorragique »), mais on appose souvent des étiquettes purement descriptives aux syndromes (« syndrome des jambes sans repos »). Cependant, il arrive souvent que l’étiquette « syndrome » subsiste longtemps après la découverte d’une cause, ce qui porte à confusion. C’est le cas du syndrome de Down, du sida (syndrome d’immunodéficience acquise) et du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). D’autre part, le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable et le syndrome des jambes sans repos sont toujours des affections syndromiques que les modèles biomédicaux classiques n’expliquent pas efficacement.
La maladie en tant que processus : histoire naturelle et évolution clinique
Depuis la révolution intellectuelle du XIXe siècle introduite par Koch et Pasteur, on divise le développement d’une maladie en étapes distinctes. Sans traitement, une maladie évoluerait en suivant une série d’étapes qui caractérisent son HISTOIRE NATURELLE. Lorsqu’on a recours à une intervention, cette dernière modifie l’histoire naturelle, ce qui résulte en une ÉVOLUTION CLINIQUE de l’affection. La figure 1.1 représente la santé et la maladie en tant que processus (plutôt qu’états) qui se déroulent dans le temps selon une série d’étapes. La ligne pointillée au centre du diagramme indique que la progression de la maladie peut être interrompue à n’importe quelle étape : souvent les cas ne passent pas par toutes les étapes.
Après contact avec un agent infectieux (ou à la suite d’un autre événement physiopathologique), il existe un point théorique à partir duquel le processus de la maladie est enclenché. Les symptômes peuvent apparaître en quelques secondes (comme pour l’anaphylaxie) ou même après plusieurs années (comme pour certains cancers). Le patient peut interpréter ses symptômes comme la manifestation d’une maladie ressentie et obtenir des soins professionnels. Peu de temps après un diagnostic médical, le traitement est habituellement entamé, et les résultats à court et à long terme peuvent être consignés. Si le résultat est insatisfaisant ou inattendu, on peut procéder à un autre diagnostic de l’affection et modifier le traitement, comme l’indique la courbe rouge pointillée dans la figure 1.1. Lorsqu’on a commencé à percevoir la maladie comme un processus plutôt qu’un état, il a fallu de nouveaux concepts pour décrire les étapes de ce processus.
La séquence des résultats de la maladie
En 1980, l’OMS a publié la Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, qui propose des termes normatifs pour décrire les étapes de l’évolution clinique d’une maladie (figure 1.2).8 Selon cette conception, la pathologie résulte en une « déficience » (la déviation de la fonction normale d’un organe ou d’un système). Par exemple, lorsque les artères coronaires se rétrécissent en présence de plaque athérosclérotique, sa fonction cardiaque peut faire défaut et le patient peut présenter une angine de poitrine. Les déficiences ne sont pas toujours perçues par le patient. On a recours aux tests de DÉPISTAGE pour déceler celles dont le patient n’est pas conscient.
Une déficience peut mener à une « incapacité », sans que cela soit toujours le cas. Une incapacité est une restriction, résultant d’une déficience, dans l’aptitude d’une personne à mener une activité d’une manière ou dans une mesure qu’on considère normale pour un être humain. Par exemple, si le rétrécissement des artères de Paul Richard lui cause une douleur thoracique et que cela gêne sa capacité de marcher, il a une incapacité découlant d’une maladie cardiaque et d’une angine de poitrine. Cependant, une déficience peut souvent être corrigée (grâce à la médecine, à la chirurgie ou à une prothèse). S’il y a lieu, aucune incapacité n’en découle.
L’incapacité peut ou non réduire la possibilité que le patient puisse jouer ses rôles sociaux normaux. Par exemple, une angine grave peut empêcher une personne de travailler, entraînant des difficultés économiques, psychologiques et sociales liées à la perte de son salaire, de sa confiance en soi et de sa position sociale. Par « handicap », on entend l’impact d’une déficience ou d’une incapacité sur une personne, exprimé en fonction du désavantage qu’elle connaît devant l’impossibilité de jouer un rôle normal pour son âge, son sexe et son groupe social ou culturel. Le handicap fait le pont entre l’impact d’une maladie et les rôles sociaux de la personne qui en est atteinte. Les interventions pratiques (trouver un travail de bureau à une personne qui souffre d’angine d’effort ou rendre des édifices accessibles en fauteuil roulant aux personnes à mobilité réduite) peuvent empêcher qu’une incapacité ne devienne un handicap. Par contre, certaines conséquences sont plus difficiles à éviter : un patient de 49 ans souffrant de claudication intermittente peut avoir l’impression de décevoir son fils en ne participant pas au tournoi annuel père-fils de basketball. Les médecins jouent un rôle social important en plaidant pour des actions visant à réduire les handicaps des personnes ayant une incapacité.
La représentation hiérarchique des résultats de la maladie
Fries était le premier à proposer une autre séquence, qu’on nomme en anglais les cinq « D », pour représenter les effets d’un problème de santé. Il énumère plusieurs résultats possibles dans l’évolution clinique d’une maladie : l’inconfort (discomfort), l’incapacité (disability), le décès (death), la toxicité médicamenteuse (drug toxicity), et le coût des soins (dollar cost of care).9 D’autres auteurs modifieront cette liste de la manière suivante : l’inconfort (discomfort), la dysfonction (dysfunction), l’incapacité (disability), la détresse (distress) et le décès (death). Peu importe les termes utilisés, le concept englobe tous les impacts qu’une maladie peut avoir sur différents patients et incite les médecins à ne pas s’attarder uniquement à la fonction physique du patient.
On peut représenter les liens entre ces diverses descriptions de l’impact de la maladie sur un axe du niveau d’impact (de la fonction cellulaire à la fonction sociale) et un axe temporel, comme l’illustre la figure ci-dessous.
La Classification internationale du fonctionnement
L’incapacité et le handicap mettent l’accent sur les conséquences négatives et pourraient ne pas tenir compte du fait que bien des gens s’adaptent très efficacement à leur état chronique. En 2001, l’OMS, dans sa Classification internationale du fonctionnement ou CIF,10 a proposé des tournures plus positives pour désigner les activités et les aptitudes. Dans cette nouvelle classification, on remplace « incapacité » et « handicap » par « activité » et « participation », rendant la distinction entre la santé et la maladie encore plus floue. Cependant, la CIF fait beaucoup plus que proposer de nouveaux termes; il s’agit d’un système de classification des états de santé qui tient compte des structures et des fonctions corporelles, et qui offre un modèle fonctionnel de la participation sociale d’une personne. Elle tient également compte des facteurs contextuels, comme le logement, le transport et le travail, qui peuvent affecter les niveaux d’activité; ces facteurs font partie des déterminants sociaux de la santé décrits dans le chapitre 2. Autrement dit, la fonction est perçue comme une interaction entre l’affection de la personne (une maladie ou une blessure) et le contexte dans lequel elle vit, y compris son milieu physique et les normes culturelles ayant trait à la maladie.
Concepts choisis de la CIF
Structures anatomiques : les parties du corps comme les organes, les membres et leurs composantes.
Fonctions corporelles : fonctions physiologiques des systèmes corporels, y compris les fonctions psychologiques.
Déficiences : problèmes dans la fonction organique ou la structure anatomique, manifestés par un écart ou une perte importante.
Activité : exécution d’une tâche ou d’une action par une personne.
Limitations à l’activité : difficultés qu’une personne peut rencontrer pour mener une activité.
Participation : le fait de prendre part à une situation de vie réelle.
Restrictions de participation : problèmes qu’une personne peut rencontrer pour participer à une situation réelle.
Facteurs environnementaux : l’environnement physique, social et attitudinal dans lequel les gens vivent et mènent leur vie. Les éléments de l’environnement peuvent faciliter ou entraver la réalisation d’activités ou la participation sociale.
Deux cas opposés
Le Dr Rao contemple le contraste entre ses deux patients. Le simple fait de dire que chacun souffre d’une maladie grave ne rend pas justice aux complexités. Plusieurs raisons font en sorte que la maladie de Paul a entraîné un malaise ou un handicap, alors que, chose étonnante, la santé de Mme Rebikov semble bonne, et elle arrive toujours à être membre à part entière de la société, malgré son affection mortelle.
Les définitions de la santé
La santé est encore plus difficile à définir que la maladie, et les définitions ont évolué au fil du temps. Toujours d’un point de vue biomédical, les premières définitions de la santé portaient sur le thème de l’aptitude de l’organisme à fonctionner; on considérait la santé comme un état de fonctionnement normal pouvant être perturbé à l’occasion par la maladie. Voici un exemple d’une telle définition : « un état caractérisé par l’intégrité anatomique, physiologique et psychologique; la capacité de jouer des rôles valorisés par l’individu sur les plans familial, professionnel et communautaire; la capacité de composer avec une situation de stress physique, biologique, psychologique et social. »11
Puis, en 1948, l’OMS a répondu aux attentes croissantes en matière de santé et a proposé une définition plus positive en établissant un lien entre la santé et le mieux-être, comme suit : « La santé est un état de complet mieux-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité. »12 Bien que certains aient reconnu l’innovation et l’enthousiasme qui sous-tendent cette définition, d’autres l’ont trouvée vague, trop générale et non mesurable. On l’a longtemps mise de côté, la considérant comme irréaliste, et la plupart des discussions sur la santé se sont de nouveau fondées sur le modèle biomédical, jugé plus pratique. Ensuite, la perception de la maladie est passée d’un état à un processus, et ce même changement est survenu dans les définitions de la santé. L’OMS a, une fois de plus, joué un rôle de premier plan lorsqu’elle a favorisé le développement du mouvement de promotion de la santé dans les années 1980. Cela a donné lieu à une nouvelle conception de la santé, non comme un état, mais comme une entité dynamique de capacité et de rendement. Autrement dit, la santé est une « ressource de la vie ».13 La définition de la santé modifiée en 1984 par l’OMS est la suivante : « mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques. »14
Regard sur l’évolution des conceptions de la santé
En 1977, le psychiatre George Engel avance l’idée d’une « aptitude à la santé » sous un titre plutôt lourd : « le modèle biopsychosocial de la santé ».15 Selon ce modèle, la maladie est l’ensemble des réponses physiologiques aux éléments déclencheurs environnementaux et sociaux éprouvants. Tout comme Susser, Engel considère la maladie selon l’interprétation de ses symptômes par le patient. Cette interprétation est influencée par les croyances et les relations personnelles du patient, les deux étant des composants de la santé (ou résilience). Ainsi, Engel ne considère pas la santé et la maladie comme un simple continuum sur lequel se situe une personne à un moment donné, mais plutôt comme un type d’interaction entre des forces opposées de stimulus ou de défis et d’adaptation.
Bien avant Engel et Susser, Freud avait défini la santé comme la capacité d’aimer et de travailler (un point de vue qui plaît à certains étudiants en médecine). Une personne qui est capable de faire ce qu’elle veut est en santé. Freud est ainsi l’un des premiers à passer d’une définition absolue à une définition relative de la santé, en la rapprochant des notions de liberté et de qualité de vie. Cette définition représente également une déviation d’une perspective objective et externe de la santé, vers une vue tenant compte de la perspective subjective de la personne.
Un corollaire est qu’un patient peut être atteint d’une maladie grave tout en se considérant raisonnablement en santé s’il est toujours en mesure de faire ce qu’il souhaite : on peut ainsi considérer la santé selon l’adaptation à la réalité. De même, la notion de « vieillissement sain » peut être définie comme l’adaptation d’une personne au déclin naturel de ses facultés, lui assurant une vie équilibrée selon ses capacités. Le processus par lequel une personne baisse ses attentes pour s’ajuster à une santé décroissante et maintenir ainsi sa satisfaction se nomme « adaptation de la réponse ».16
Le mieux-être
L’introduction de ce chapitre portait sur les aspirations croissantes de la population et sur la reconceptualisation de la maladie et de la santé qui en découle. Beaucoup de praticiens y ont répondu en ajoutant le maintien du mieux-être à l’extrémité positive du continuum de la santé. Certains distinguent deux dimensions interdépendantes : maladie/non-maladie et mieux-être/mal-être; d’autres en distinguent plusieurs, comme les dimensions spirituelle, émotionnelle, sociale et mentale. Selon Last, le mieux-être est « un mot qu’utilisent les scientifiques du comportement pour décrire un état dynamique de mieux-être physique, mental, social et spirituel qui permet à une personne d’atteindre son plein potentiel et de mener une vie agréable. »17
Compte tenu de la multitude de maladies à traiter, les médecins doivent-ils se préoccuper du mieux-être? La médecine doit-elle chercher à promouvoir des états de santé positifs? Certains universitaires font la distinction entre un système de soins médicaux et un système de soins de santé, se fondant sur l’argument que, pour réduire les coûts, le financement public doit se limiter au traitement des maladies et à la restauration de la capacité fonctionnelle du patient. Pour d’autres, les activités comme les conseils et la sensibilisation des personnes en santé à la saine alimentation et à l’activité physique favorisent le mieux-être et la résilience et font ainsi partie de la pratique normale de la médecine préventive. D’autres vont plus loin et sont d’avis que les médecins doivent promulguer l’amélioration des déterminants de la santé, tels que l’amélioration des conditions de travail, promouvoir le transport actif (la marche et le vélo) plutôt que la voiture, et promulguer des politiques de redistribution du revenu. Ce qui reflète la dimension sociale de la définition de santé de 1984 de l’OMS, puis reflété par les rôles du médecin présentés sous le cadre CanMEDS. Comme les concepts de santé et de maladie ne cessent de s’élargir, les médecins seront sans doute forcés à ajouter à leurs tâches la promotion d’états de santé positifs chez leurs patients. Conformément à cette tendance, les essais cliniques des nouveaux produits pharmaceutiques doivent aussi maintenant viser l’amélioration de la qualité de vie, ce qui va beaucoup plus loin qu’une simple amélioration des indicateurs biomédicaux de la pathologie.
Les discussions portant sur le mieux-être ont desserré l’emprise du modèle biomédical. Des modèles écologiques sont apparus en guise de remplacement; ces modèles tiennent compte des interactions complexes entre les personnes, leurs caractéristiques individuelles et l’environnement, et de leur influence sur la santé. Trevor Hancock donne un exemple de cette nouvelle pensée dans son « mandala de la santé »18. Il s’agit d’un modèle écosystémique de la santé et de la communauté qui représente les déterminants de la santé en tant qu’influences concentriques imbriquées. La personne se trouve au centre du mandala, qui fait la distinction entre le corps, l’intellect et l’esprit. Les facteurs externes sont ensuite pris en considération, soit le milieu social et physique, puis les influences culturelles, économiques et sociétales. Le mandala met l’accent sur la vaste gamme de déterminants de la santé et sur le besoin de tenir compte de niveaux multiples lors de l’élaboration de stratégies d’amélioration de la santé.
Plus près de nos temps, la perspective de la santé globale a ajouté d’autres anneaux pour représenter les influences du climat, des processus économiques, des guerres, de la culture et des migrations sur la transmission rapide des maladies. (Le thème des déterminants sociaux de la santé est traité en profondeur au chapitre 2.) Le modèle intégré du PARCOURS DE VIE et des déterminants sociaux de la santé autochtone (fig. 1.5), proposé par Reading et Wein, ajoute une dimension temporelle au mandala.19, p26 Ce modèle représente les influences sur la santé comme un ensemble de sphères concentriques (une coupe transversale permet de voir les sphères internes). L’enfance se trouve au centre, la jeunesse et l’âge adulte l’entourent, et les sphères successives représentent d’autres déterminants. Les sphères internes sont divisées selon les aspects mental, physique, émotionnel et spirituel de la santé.19, p26
La santé spirituelle et les traditions de guérison indigènes au Canada
En s’élargissant, les conceptions de la santé ont remis en question la tradition occidentale cartésienne de séparation du corps et de l’esprit (voir « Descartes » dans Pour les mordus). Les difficultés de traiter les conditions mentales ont amené certains à considérer des traditions médicales d’autres cultures. Celles-ci se concentrent beaucoup plus sur la guérison que sur le traitement, et dirigent notre attention sur l’esprit du patient en plus de son corps. La santé spirituelle peut se manifester par une sensation de paix, d’espoir, de motivation, d’engagement ou de valeur. Certaines personnes développent leur spiritualité dans le cadre d’une pratique religieuse, alors que d’autres le font en renouant avec leurs valeurs, la nature, l’art ou la musique. Un médecin qui reconnaît la pertinence de la santé spirituelle pourrait être mieux en mesure d’appuyer ses patients, de contribuer à leur impression de paix, de confort, de force, d’amour ou d’interrelation afin d’améliorer leur sensation de mieux-être.20 Par exemple, la chimiodépendance est de plus en plus traitée comme un problème aux dimensions biologiques, psychologiques, sociales et spirituelles.
Descartes
Certains enseignements vont à l’encontre de la pensée cartésienne, par exemple ceux des Premières nations, des Inuits et des Métis; ces peuples reconnaissent depuis longtemps les autres dimensions, non physiques, de la santé.21, 22 Ces traditions se fondent sur une approche écologique vaste et considèrent la santé comme l’équilibre entre les dimensions spirituelle, émotionnelle, physique et mentale de la personne. La guérison est possible grâce à un rétablissement de l’équilibre entre les quatre domaines de la santé (spirituel, émotionnel, mental et physique). Les relations de guérison se fondent sur le respect, l’humilité, la compassion, la vérité, le partage, l’hospitalité et l’amour divin.23 Ces idées sont symbolisées de diverses façons par différents groupes indigènes : par la roue de la médecine, le symbole de la « couverture d’apprentissage » ou l’arbre de l’apprentissage tout au long de la vie des Métis (voir l’illustration).24
Métaphores autochtones de la santé
Pour la plupart des Premières Nations, la roue de la médecine symbolise l’interdépendance de tous les organismes vivants, les cycles de la nature et le parcours circulaire de la vie (on en trouve des images sur Internet).
Les quatre quadrants représentent plusieurs idées :
1) Les quatre points cardinaux et leurs quatre esprits-guides symbolisent les stades de la vie. L’est, le lieu de naissance quotidien du soleil, représente les premières années de vie. Le sud représente l’enfance et la croissance intellectuelle. L’ouest symbolise l’âge adulte et l’introspection, tandis que le nord représente le quatrième âge, la sagesse et les aspects spirituels de la vie. Le centre de la roue est l’axe de la Terre mère et du Créateur.
2) Les points cardinaux peuvent également représenter l’équilibre entre les quatre aspects de la santé : la santé spirituelle (l’est), la santé émotionnelle (le sud), la santé physique (l’ouest) et la santé mentale (le nord).
3) La roue peut signifier le processus décisionnel. Les valeurs (représentées par l’est, où se lève le soleil) guident les décisions dans le domaine mental (situé au nord, dans la partie supérieure de la roue). Les décisions sont ensuite mises en œuvre dans le domaine physique (l’ouest), et les actions produisent des réactions dans le domaine émotionnel (le sud). Ces réactions affectent le système de valeurs, complétant la boucle de la valeur, de la décision, de l’action et de l’évaluation.
4) La roue peut représenter les quatre médicaments sacrés :
Le tabac (l’est) est révéré car il fait le pont entre la personne et le monde des esprits; il absorbe les prières, les porte vers le monde spirituel et remercie le Créateur de ses cadeaux.
On utilise le cèdre (le sud) pour purifier et, en tisane, pour attirer de l’énergie et des émotions positives et retrouver l’équilibre. Sa teneur en vitamine C a aidé à prévenir le scorbut lorsque les fruits et les légumes n’étaient pas disponibles pendant les mois d’hiver.
La sauge (l’ouest) est un médicament pour les femmes, apportant force, sagesse et lucidité. On retrouve la sauge tressée et suspendue dans les foyers; la tresse à trois mèches représente le corps, l’intellect et l’esprit.
Le foin d’odeur (le nord) est utilisé pour la purification rituelle.
La couverture d’apprentissage des Inuits
C’est une couverture colorée et circulaire avec des représentations de la vie inuite qui symbolisent les sources d’apprentissage et les domaines de savoir — la culture, les autres et la force de vie qui découle de la relation que les Inuits entretiennent depuis longtemps avec leur environnement. Chacune de ces sources est représentée sur la couverture par une image de la vie inuite. La forme circulaire de la couverture représente l’interdépendance de tous les organismes vivants et le cycle continu de la vie, de la mort et du renouveau qui lie le passé, le présent et l’avenir. Plusieurs images du modèle de la couverture se trouvent sur Internet.
Le Modèle de l’apprentissage holistique tout au long de la vie chez les Métis
Diverses conceptions de la santé et du mieux-être sont acceptées chez les Métis. Certains perçoivent la vie comme un processus d’apprentissage faisant partie d’un système vivant et régénérateur, d’un ordre naturel qui peut être représenté par une forêt. Les racines de chaque arbre représentent la santé et le mieux-être de la personne, nourrissant son apprentissage tout au long de la vie. Le tronc contient les anneaux de croissance, au centre desquels se trouve la santé spirituelle. Ces anneaux évoluent au cours de la vie à mesure que d’autres anneaux viennent s’ajouter chaque année. Les branches représentent les différentes sources de ce savoir : le soi, les autres, la terre et les traditions.
L’Association des médecins indigènes du Canada (AMIC) et l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC), reconnaissant la pertinence des concepts indigènes de la santé et de la guérison, ont élaboré des normes de compétence pour les étudiants en médecine qui travaillent auprès de patients des Premières nations, inuits et métis. Ces compétences s’articulent autour des rôles du médecin dans le programme CanMEDS; elles sont conçues pour apprendre aux étudiants à avoir des pratiques saines sur le plan culturel lorsqu’ils travaillent auprès de patients des Premières nations, des Inuits et Métis. Les Compétences essentielles en matière de santé des Inuits, des Métis et des Premières nations sont disponibles sur le site Web de l’AFMC.
La médecine intégrative
La médecine occidentale contemporaine est de plus en plus confrontée à des perspectives et des traitements qui ne font pas partie de la panoplie allopathique classique (voir « La médecine allopathique » dans Pour les mordus). On a proposé, entre autres, l’approche de la médecine intégrative25 pour unir les approches biomédicales et d’autres traditions de guérison, y compris les remèdes à base de plantes médicinales, les interventions manuelles comme la massothérapie ou la chiropratique, et les pratiques à la fois physiques et mentales, comme l’hypnose. De même, le Collège canadien de médecine naturopathique offre une formation aux médecins naturopathes qui emploient des traitements naturels en plus des méthodes diagnostiques traditionnelles de la médecine allopathique.
La médecine allopathique
Dans les sociétés pré-scientifiques, la médecine se fonde sur un mélange de magie, de religion et de remèdes populaires. Au Moyen-Âge en Europe, la magie et la superstition perdent peu à peu de leur importance, et la médecine cherche à se redéfinir. On veut qu’elle se base sur des principes actifs qui impressionneraient les patients et remplaceraient les incantations et l’encens, dénigrés par les sceptiques. La réponse choisie, que l’on nommera beaucoup plus tard « allopathie », existait déjà environ un siècle av. J.-C. au Moyen-Orient. L’idée est simple : lorsque le fonctionnement du corps s’éloigne de la norme, le médecin doit tenter de rétablir la fonction normale. Si un homme fait de la fièvre, on diminue sa température corporelle; s’il est constipé, on lui administre un laxatif. On croit que les maladies sont causées par des toxines qu’il faut éliminer. Cela mène à des traitements comme les saignements, les sangsues, les lavements et les purges. Les interventions sont souvent dures. Molière les dépeint cyniquement dans l’une de ses pièces à l’aide d’une métaphore de guerre : les patients combattent la maladie, les médecins font la guerre aux pathogènes, et patients et médecins s’allient pour lutter contre le cancer. Notons qu’en français, on désigne les autres traitements (non allopathiques) par l’expression « médecine douce ». On attribue l’invention du terme « allopathie » à Samuel Hahnemann, le fondateur de l’homéopathie. Alors que l’allopathie sous-entend une opposition aux symptômes de la maladie, l’homéopathie suppose une collaboration avec la maladie en encourageant le corps à produire des défenses naturelles (p. ex., immunitaires).
Pendant un certain temps au milieu du xixe siècle, l’homéopathie (traitement par similitude) fait concurrence à l’approche allopathique, mais le développement de la théorie des germes donne une base scientifique à de nombreux remèdes allopathiques. Cependant, dès le milieu du xxe siècle, un désenchantement s’installe : les hôpitaux sont toujours bondés et les listes d’attente sont longues malgré les percées dans « la conquête des maladies infectieuses ». La demande croissante de soins découle possiblement de la perception de leur efficacité, mais la médecine allopathique est victime de son succès : conjuguée à l’amélioration des conditions sociales, elle permet à la population de vivre assez longtemps pour souffrir de maladies dégénératives, contre lesquelles l’approche allopathique s’avère moins efficace. En outre, l’approche allopathique a des conséquences non souhaitables, dont la croissance rapide des coûts et le grand nombre de personnes atteintes de troubles iatrogènes.2 Les remèdes allopathiques sont souvent très efficaces, mais un nombre croissant de praticiens empruntent des approches non allopathiques en acceptant que le meilleur traitement consiste parfois à rétablir l’équilibre dans la vie du patient en s’assurant qu’il dort suffisamment, qu’il fait de l’exercice et qu’il s’alimente sainement, tout simplement.
La conception de la médecine intégrative proposée par Rakel and Weil demande une capacité de la part du médecin « à mieux comprendre la culture, les croyances et le mode de vie du patient » pour y « apporter les modifications nécessaires au comportement dans le but d’améliorer la santé. » Cela signifie comprendre les déterminants sous-jacents de la santé et la manière dont ils peuvent être modifiés au moyen des outils liés au changement du comportement et à la santé publique et de la population. Selon Rakel et Weil, « La médecine intégrative veille à diriger les efforts de la médecine vers la guérison, plutôt que vers la maladie. Elle nécessite ainsi une compréhension des influences de l’intellect, de l’esprit et de la communauté, ainsi que du corps. Le fournisseur cherche à mieux comprendre la culture, les croyances et le mode de vie du patient afin d’être en mesure d’apporter les modifications nécessaires au comportement dans le but d’améliorer la santé. »25, p6 Ces notions forment le thème central du chapitre 3.
Questions à l’étude
1. Comment la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé a-t-elle évolué au fil du temps?
2. Quelles sont les dimensions principales de la santé?
3. Nommez une différence entre la définition biomédicale classique de la santé et la conception traditionnelle autochtone d’un groupe indigène avec lequel vous êtes familier.
4. Faites la distinction entre la maladie ressentie et la maladie diagnostiquée.
5. Énumérez les niveaux auxquels les environnements sociaux affectent la santé dans le modèle écologique.
6. Qu’est-ce que le comportement lié à la maladie?
7. Indiquez comment la culture d’une personne peut affecter sa stratégie d’accès aux soins de santé.
Questions de réflexion
2. Comment sauriez-vous si une personne est en santé ou non?
3. Si un pathogène est à l’état latent dans l’organisme (par exemple, le virus de l’herpès), la personne est-elle malade? S’agit-il d’une maladie uniquement lorsque les symptômes apparaissent (par exemple, le zona)?
4. Selon vous, quelle est la différence entre une maladie et une blessure?
5. Où se situe la frontière entre la liberté de vivre comme on le souhaite et la responsabilité de mener une vie saine? On peut respecter le droit de chaque personne à agir d’une manière qui nuit à sa santé, mais tous les contribuables acquittent les factures médicales découlant de ce comportement. Chacun de nous assume le coût de ce manque à gagner; l’argent de nos taxes aurait pu être dépensé pour des ressources dont plus de gens auraient profité.
6. La dépendance est de plus en plus perçue comme une maladie. Devons-nous excuser le comportement antisocial d’un toxicomane parce qu’il souffre d’un problème médical?
7. Que feriez-vous pour mesurer votre approche devant un patient dont le mode de vie est la cause de ses troubles médicaux : y a-t-il un juste milieu entre le tenir entièrement responsable de son destin et rejeter cette notion par peur de « condamner la victime »?
8. Comment les environnements sociaux affectent-ils la santé d’une personne? Donnez des exemples. Faites de même pour les environnements urbains.
9. Dans les années 1950, Talcott Parsons a décrit le « rôle de malade », qui comprenait selon lui plusieurs comportements acceptables chez une personne malade, mais non chez une personne en bonne santé : rester au lit plutôt qu’aller travailler, avoir ses repas préparés par une autre personne, etc. Selon vous, quels comportements sont appropriés pour une personne malade de nos jours? Dans quelle mesure pourraient-ils varier en fonction des strates socioéconomiques et des groupes culturels?
10. Si un médicament contre la polyarthrite rhumatoïde diminue la vitesse de sédimentation ou le facteur rhumatoïde, mais n’a pas d’effets décelables sur la qualité de vie des personnes qui le prennent, s’agit-il d’un médicament efficace?
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