Chapitre 2 Les déterminants de la santé et les iniquités en santé

Après avoir achevé ce chapitre, le lecteur sera en mesure :

1. de distinguer entre la santé publique et la santé des populations en indiquant les principales activités du système de santé publique (objectifs du Conseil médical No. 78-3) ;

2. de décrire les inégalités sociales en santé (Conseil médical 78-1 et 78-9) ;

3. de définir les concepts de base de la santé et de la maladie : causes, facteurs de risque et déterminants  (Conseil médical 78-1) ;

4. d’énumérer les principaux déterminants de la santé et de décrire les mécanismes par lesquels chaque déterminant peut influencer l’état de santé (Conseil médical 78-1) :

4.1 le niveau de revenus et la situation sociale
4.2 les réseaux de soutien social
4.3 le niveau d’instruction
4.4 le développement du jeune enfant
4.5 l’environnement social et culturel
4.6 l’environnement physique
4.7 l’emploi et les conditions de travail
4.8 les services de santé
4.9 le genre
4.10 les comportements liés à la santé

5. de décrire l’interaction de ces facteurs en influençant la santé, menant à un modèle écologique de la santé et le triangle épidémiologique (Conseil médical 78-3) ;

6. de décrire une intervention pour modifier les facteurs de risque des individus, ainsi que pour modifier la santé de la population entière (Conseil médical 78-3) ;

7. de décrire au moins un modèle de changement de comportement, y compris les facteurs prédisposants, habilitants et de renforcement (Conseil médical 78-1 et 78-3).

Faire le lien entre ces connaissances et les objectifs du Conseil médical du Canada, notamment les chapitres 78-1 et 78-3.

À noter : les cases colorées contiennent des informations supplémentaires facultatives ;
cliquez sur la boîte pour l’ouvrir.
Les mots en MAJUSCULES sont définis dans le Glossaire.

L’asthme environnemental de Peter Sulawesi

Mme Sulawesi consulte le Dr Rao une fois de plus au sujet de Peter, son fils de trois ans. Ils habitent un logement humide et mal chauffé au dessus d’un nettoyeur à sec. Elle a dû se rendre en salle d’urgence avec Peter à trois reprises au cours du dernier mois en raison de l’asthme mal maîtrisé de son fils. Mme Sulawesi est une mère célibataire ayant récemment immigré au Canada. Elle n’est pas entourée de membres de sa famille et n’a que très peu d’amis. Elle travaille comme concierge à l’école locale surtout en soirée et pendant les fins de semaine. Le Dr Rao a tenté d’impliquer les services sociaux, mais ils sont débordés de travail en raison d’enjeux plus pressants. Le propriétaire refuse de faire des réparations dans le logement, et l’hiver arrive à grands pas.

La tâche immédiate du Dr Rao est de traiter les symptômes de l’asthme, mais il est pleinement conscient que cela ne fera rien pour corriger les facteurs qui ont probablement précipité la crise. Il parle donc à son infirmière praticienne dont la sœur peut être en mesure de louer à Mme Sulawesi un meilleur appartement à un prix abordable. Le Dr Rao est heureux d’avoir défendu les intérêts de son patient, mais il reconnaît qu’il ne peut pas s’attaquer à la cause sous-jacente. Quelqu’un d’autre emménagera dans l’appartement, créant probablement un autre cas chronique. Il devrait peut-être aviser le service de santé publique local….

Une prise en charge efficace de la maladie exige une gestion immédiate du problème, puis des facteurs modifiables qui l’ont causé – dans le cas de Peter Sulawesi, son milieu de vie délabré et peut-être moisi. Le but est d’éviter un cycle frustrant de consultations répétées dans lequel Peter reçoit un traitement symptomatique pour les effets d’une cause environnementale persistante. L’idéal serait donc de combiner les interventions cliniques pour le patient avec des interventions au niveau de la communauté et de la population.

La santé publique et des populations

En tant qu’omnipracticien, le Dr Rao travaille dans un système de soins de santé qui fonctionne en parallèle avec les systèmes de services sociaux et de santé publique. Ceux-ci sont destinés à confronter les facteurs environnementaux qui aggravent les maladies comme l’asthme de Peter. L’objectif du système de santé publique est de prévenir la maladie et de protéger la santé (voir PROTECTION DE LA SANTÉ dans le glossaire) : « La santé publique se rapporte aux efforts organisés déployés par une société pour maintenir les personnes en santé et éviter les blessures, les maladies et les décès prématurés. Il s’agit d’un mélange de programmes, de services et de politiques qui visent à protéger et à favoriser la santé des Canadiens. »1 Toutefois, cette définition ne permet pas de départager ce qu’elle est de ce qu’elle n’est pas. Cette difficulté existe, en partie, parce que la santé publique ne se rapporte pas à un appareil organique, à un type de maladie ou à une approche thérapeutique, mais plutôt à diverses façons d’aborder les problèmes de santé les plus urgents de l’heure et du lieu. Au fil de l’évolution historique de la prévalence de maladies particulières, la discipline a connu une succession de noms alors qu’elle luttait pour déterminer si les facteurs environnementaux, le comportement individuel ou les problèmes sociaux devraient constituer la cible principale des interventions.

L’évolution de la perception de la santé publique

Le profil des maladies évolue au XXe siècle, et les efforts de santé publique doivent s’y adapter, ce qui occasionne des changements de nom pour la discipline. On parle d’abord d’ « hygiène publique », en mettant l’accent sur l’assainissement du milieu. Entre 1920 et 1940, dans une société préoccupée par les maladies propagées par la migration, la mise au point et l’application massive de vaccins favorise un virage vers la « protection de la santé ». Le contexte social est officiellement reconnu durant les années 1950 quand des départements universitaires de « santé communautaire » ou de « médecine communautaire » voient le jour. Les maladies liées au mode de vie connaissent une hausse dans les années 1960 et 1970, ce qui donne naissance à l’ « éducation à la santé », domaine ensuite élargi pour inclure la « promotion de la santé ». Le mouvement de la promotion de la santé modifie également la perspective du rôle de la personne. L’individu, autrefois simple destinataire de l’éducation à la santé, devient un participant actif qui tient responsabilité pour sa propre santé, principalement en adoptant un mode de vie plus sain. Les politiques et programmes nationaux font la promotion de l’activité physique, de l’alimentation saine et de l’arrêt du tabac. Dans les années 1980, le mouvement des villes saines met l’accent sur le milieu bâti (p. ex., la construction d’installations sportives, de sentiers pédestres et d’aires piétonnières). Entre-temps, on se demande s’il y a lieu d’élargir la discipline de la santé publique pour inclure de telles activités ou s’il faut circonscrire son champ d’action.

Les critiques de l’éducation à la santé font valoir que bien des gens, notamment les plus pauvres, n’ont pas nécessairement les moyens d’améliorer leur mode de vie étant donné les limites considérables de leurs milieux socioéconomiques et culturels. On dit souvent que l’éducation à la santé risque de verser dans la « condamnation de la victime » (voir « Blâmer la victime » dans Pour les mordus), et que le fait de se concentrer sur la modification du mode de vie ne permettra pas de modifier les circonstances qui ont donné lieu à ces comportements. Les comportements sont de plus en plus perçus comme des symptômes de déterminants sociaux sous-jacents, plutôt que comme les causes d’une mauvaise santé. Cela donne lieu à la perspective de la santé des populations, axée sur les déterminants sociaux de la santé, comme on le verra plus loin dans ce chapitre.

Blâmer la victime

William Ryan, un psychologue américain, est le premier à utiliser l’expression « blâmer la victime » en 1976. Ryan critique un rapport publié sur les familles noires aux États-Unis qui attribue leur pauvreté persistante à leurs habitudes culturelles et comportementales plutôt qu’aux conditions structurales de la société qui limitent leurs choix.

Le concept s’avère pertinent lorsque l’on se demande comment les cliniciens peuvent être empathiques envers les patients atteints de maladies liées à leur mode de vie (tabagisme, manque d’exercice, abus d’alcool). En fait, il est presque impossible de déterminer si le mode de vie d’un patient est un choix ou s’il découle de pressions et de contraintes sociales, et dans quelle mesure. Par exemple, une analyse superficielle révèle que l’obésité découle en partie de mauvais choix alimentaires, mais ces choix peuvent être influencés par la disponibilité des aliments, les moyens financiers et le milieu social de la personne, et le clinicien n’en est probablement pas conscient. Le défi est d’aider le patient à trouver des ressources pour surmonter le problème tout en gardant une perspective juste quant à son aptitude à modifier son comportement et à sa capacité encore plus limitée à contrôler son milieu.

La tendance à condamner la victime relève en partie d’une croyance en un monde juste : si l’on est persuadé que les bons comportements sont récompensés, il est difficile d’accepter que de bonnes personnes tomberont victime à un cancer. Selon cette perspective, il est logique d’attribuer au moins une partie du blâme à la personne souffrante. Cette tendance augmente à mesure que nous en apprenons davantage sur les facteurs de causalité : ce patient n’aurait pas le cancer de l’intestin s’il avait mangé suffisamment de fruits et de légumes, celui-là n’aurait pas le diabète s’il avait fait assez d’exercice physique.

De nombreuses interventions de santé publique ont été couronnées de succès, notamment dans le contrôle des maladies infectieuses qui ont un seul maillon identifiable dans leur chaîne causale qui peut être brisé, par exemple grâce à une immunisation ou à un assainissement amélioré. Mais des conditions telles que l’obésité s’avèrent plus difficiles à traiter : le lien entre le régime alimentaire et le poids corporel est complexe; le gain de poids peut être remarquablement difficile à inverser et de fortes forces sociales favorisent les régimes alimentaires inappropriés. Nous avons besoin d’interventions à plusieurs niveaux : le counselling individuel, la création d’environnements de soutien et de vastes changements de politiques pour modifier l’abordabilité des aliments sains. Les interventions coordonnées de cette envergure sont la marque distinctive de l’approche axée sur la santé de la population. Cela signifie que, tout en encourageant la responsabilité individuelle en matière de santé, nous devons également nous pencher sur les déterminants sociaux sous-jacents, comme la pauvreté, qui limitent la capacité des gens à réaliser des gains réels en santé.

La notion de la santé des populations a pris une plus grande importance dans les années 1990. On constate un chevauchement entre celle-ci et la notion de santé publique. Elles s’intéressent toutes deux au portrait de la santé et de la maladie dans des groupes plutôt que chez des individus; elles surveillent toutes deux les tendances en matière de santé, en examinent les déterminants, proposent des interventions au niveau de la population pour protéger et promouvoir la santé et discutent des possibilités de fournir ces interventions. La distinction entre les deux notions est subtile, mais la santé des populations est un domaine plus vaste, car elle avance un paradigme qui unit des disciplines, de la biologie à la sociologie. Elle propose un fondement rationnel à l’attribution des ressources en santé qui reflète un équilibre entre la protection et la promotion de la santé et la prévention et traitement des maladies, tout en contribuant de manière significative à la science fondamentale.2 La Dre Christina Mills, ancienne présidente de l’Association canadienne de santé publique, a noté que « la santé des populations, c’est notre manière de penser; la santé publique représente notre mode d’action » (citation par Hancock3). Par exemple, une approche de santé publique à l’obésité infantile pourrait promouvoir l’éducation des parents et des enfants, des programmes d’alimentation saine dans les écoles, l’interdiction des boissons gazeuses dans les distributeurs automatiques en milieu scolaire, la règlementation plus stricte de la commercialisation de la malbouffe auprès des enfants, la promotion de l’activité physique, etc. Une approche de santé des populations aborderait l’obésité infantile dans une perspective plus vaste. Elle pourrait considérer le système alimentaire en soi : comment les subventions agricoles affectent-elles le prix des aliments? Les politiques d’urbanisme peuvent-elles empêcher l’apparition de déserts alimentaires urbains, où les gens qui n’ont pas de voiture n’ont pas accès à une épicerie? (Cliquez sur l’encadré « POUR LES MORDUS Un regard organique …  » ). La santé des populations vise toujours la santé comme résultat principal, mais considère les enjeux d’un point de vue global et a tendance à tenir compte d’un plus grand nombre de facteurs, comme l’économie, la durabilité environnementale, la justice sociale, etc.

Santé des populations

John Frank (directeur fondateur de l’Institut de recherche sur la santé des populations des IRSC), 1995 :
« La santé des populations est un cadre conceptuel pour réfléchir aux raisons qui sous-tendent le fait que certaines personnes et certains peuples sont en meilleure santé que d’autres – les déterminants de la santé aux niveaux de la personne et de la population. Les principaux déterminants de l’état de santé humaine, notamment dans les pays dont le développement socioéconomique est avancé, ne sont pas les intrants et l’utilisation des soins médicaux, mais plutôt les facteurs culturels, sociaux et économiques – tant à l’échelle de la population que de la personne. »4

Kue Young (auteur d’un manuel important sur la santé des populations), 1998 :
« Un cadre conceptuel pour réfléchir aux raisons qui sous-tendent le fait que certaines personnes sont en meilleure santé que d’autres, ainsi que l’élaboration de politiques, le programme de recherche et l’attribution de ressources qui en découlent… Les études en santé des populations visent à décrire l’état de santé d’une population, expliquer les causes des maladies, prédire les risques pour la santé chez les personnes et les communautés et offrir des solutions pour prévenir et contrôler les problèmes de santé. Pour y parvenir, la santé des populations doit collaborer avec la science fondamentale de l’épidémiologie, plusieurs sciences sociales qui touchent également au phénomène des populations, les sciences humaines et les sciences biomédicales en laboratoire. »2, p4

Ces façons de penser donnent lieu à des moyens d’améliorer la santé, comme l’a expliqué Santé Canada, en 1994 :
« Une stratégie d’amélioration de la santé de la population s’intéresse à tous les déterminants de la santé, individuels ou collectifs, alors que les soins de santé traditionnels mettent l’accent sur les facteurs de risque et les éléments cliniques particuliers aux diverses maladies. Les stratégies d’amélioration de la santé de la population s’appliquent à des groupes entiers ou à une population entière, alors que les soins de santé cliniques s’appliquent à une personne à la fois, habituellement à une personne qui a déjà un problème de santé ou qui court fortement le risque d’en avoir un. »5

(À noter : parfois les auteurs emploient le terme santé des populations de manière purement descriptive : « la santé de la population, telle que mesurée selon les indicateurs de l’état de santé ».6 Cet usage ne fait pas référence à la perspective santé des populations, ce qui forme le thème de ce chapitre.

Un regard organique sur la santé des populations

Bien qu’en général, nous considérions une population d’un point de vue géographique, par exemple celle d’un pays, d’une ville ou d’un quartier, une population peut être définie selon n’importe quel facteur commun à un groupe de personnes, comme l’âge, le statut socioéconomique, la langue ou le mode de vie. Chacune d’entre elles définit la « population » en fonction des caractéristiques de ses membres. Lorsqu’on envisage la santé de la population sous forme d’agrégat d’individus, on examine la santé dans la population : nous la mesurons en termes de prévalence et de taux d’incidence, etc.

En revanche, une vision organique d’une population se concentre sur le fonctionnement de l’ensemble : comme quelque chose de plus que la somme de ses parties, comme un organisme collectif avec des personnes agissant comme un groupe conscient de soi, avec des valeurs et des traditions partagées. Ici, la santé de la population analyse la santé de la population.7 Selon cette perspective, une communauté ou une population saine collabore en tant que groupe pour affronter les difficultés et promouvoir le bien-être de ses membres. Par exemple, une population saine se mobiliserait en cas de catastrophe naturelle pour décider d’une réponse collective efficace et dans cette perspective, elle contribuerait à la santé de ses membres. Les indicateurs d’une population saine pourraient inclure les lois sur l’équité sociale ou l’élaboration de politiques publiques saines, qui caractérisent « la société bienveillante », par exemple.

Ce point de vue organique a élargi la portée de l’approche de promotion de la santé pour en faire un hybride qu’on appelle parfois « promotion de la santé des populations ». Bon nombre d’unités de santé publique privilégient maintenant une perspective dynamique et élaborent des programmes qui aident les groupes communautaires à travailler ensemble pour améliorer leur propre santé.

Bien qu’en général un médecin traite le patient et non la population, il existe plusieurs raisons pour lesquelles il est avantageux de prendre une perspective populationnelle. Premièrement, le vieux dicton de l’enseignement médical énonçant que « les maladies courantes sont courantes » est bien vrai : l’affection du patient est un symptôme de profils de santé que l’on retrouve à l’échelle de la population à laquelle il appartient. La prévalence sous-jacente dans la population portera donc une influence sur la hiérarchie des diagnostics différentiels d’un médecin. Il est plus probable que la douleur thoracique d’un individu de 50 ans soit d’origine cardiaque que la même douleur chez un sujet de 15 ans. Deuxièmement, le mode de vie d’un patient peut avoir causé son état de santé, mais les forces motrices de ce mode de vie résident dans sa situation sociale. Vos efforts pour l’aider à modifier ses comportements en matière de santé seront souvent frustrés par les pressions sociales qu’il subit. Il peut être plus efficace de s’attaquer à une maladie au niveau de la population (par exemple, en faisant pression pour obtenir une taxation sur les aliments riches en matières grasses et en utilisant le produit pour subventionner les fruits ou les programmes d’exercice) qu’en traitant un grand nombre de personnes (voir chapitre 8).

Dans une approche de santé des populations, le Collège des médecins et des chirurgiens du Canada attribue aux médecins un rôle de promoteurs de la santé : « Comme promoteurs de la santé, les médecins utilisent leur expertise et leur influence de façon responsable pour promouvoir la santé et le mieux-être des patients, collectivités et populations. » 8

L’asthme de Peter – suite

Le Dr Rao informe le service de santé publique de ses préoccupations au sujet de l’état du jeune Peter Sulawesi et de ses soupçons quant à sa cause environnementale. Ils informent le Dr Rao que la possibilité de moisissure dans l’appartement est vraiment une affaire entre Mme Sulawesi et son propriétaire ou l’autorité du logement, mais ils acceptent d’envoyer un inspecteur pour voir si les émanations de l’entreprise de nettoyage à sec en bas pourraient être un danger pour la santé publique.

Il est peu probable que Mme Sulawesi puisse emménager dans un meilleur appartement. Elle n’a pas assez d’éducation pour se qualifier pour un emploi mieux rémunéré qui pourrait couvrir les loyers plus élevés. De plus, la dépression de l’économie locale signifie qu’il est peu probable que le propriétaire dépense de l’argent pour des rénovations.

En général, la santé publique a pour mandat de se concentrer sur la gestion de l’environnement physique de Peter avec ses expositions chimiques ou biologiques qui exacerbent son état. Le point de vue de la santé de la population considère l’asthme de Peter comme un exemple d’un modèle plus large d’inégalités remédiables en matière de santé entre les groupes sociaux.

Les inégalités en santé

Dans chaque société, il existe des variations sur le plan de la santé entre les individus, les groupes d’individus, les régions ou les pays.9 En effet, la plupart des maladies et des états de santé ont un profil prévisible. Comme illustration, la figure 2.1 donne un aperçu global de l’espérance de vie au Canada en fonction du sexe et du revenu.10, 11 Les données proviennent d’une étude auprès de 2 734 800 Canadiens suivis pendant 15 ans à partir du Recensement de 1991. Les décès survenus pendant cette période ont été associés aux renseignements sur le revenu consignés dans le Recensement de 1991. On a ajusté le revenu en fonction de la taille de la famille qui en dépendait afin de mieux voir s’il était adéquat ou non. Le résultat est divisé en cinq catégories, ou quintiles de revenu familial, allant de pauvre (représenté par le chiffre 1) à riche (représenté par le chiffre 5). Les barres verticales représentent la moyenne des années de vie restantes d’une personne de 25 ans pour chaque catégorie de sexe et de revenu.

Figure 2.1 : Espérance de vie restante à l'âge de 25 ans au Canada, par sexe et quintiles de revenu, pour la population hors établissement de 1991 à 2006
Figure 2.1 : Espérance de vie restante à l’âge de 25 ans au Canada, par sexe et quintiles de revenu, pour la population hors établissement de 1991 à 2006

Les données indiquent une disparité troublante sur le plan de la santé : on constate que les hommes les plus pauvres peuvent s’attendre à vivre environ sept ans de moins que les hommes les plus riches (48 ans passé l’âge de 25 ans pour les plus pauvres, contre 55 ans pour les plus riches); ce contraste chez les femmes est d’environ cinq ans. Cependant, les personnes dont les revenus sont les plus faibles ne sont pas les seules victimes : il existe une hausse constante (ou gradient) de la longévité par rapport aux niveaux de revenus, ce qu’on appelle le « gradient social de santé ».

Ce graphique montre l’espérance de vie, mais les taux d’invalidité et de mauvaise santé augmentent également à mesure que le statut socio-économique décline : les personnes les plus pauvres connaissent le double déficit d’une vie plus courte et d’une vie moins saine. Ces gradients découlent des « déterminants sociaux de la santé », définis comme « les circonstances sous lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent. »12 On retrouve des gradients de santé semblables qui découlent du niveau d’instruction, de l’emploi et de la région de résidence, qui reflètent tous le statut socioéconomique comme déterminant social de la santé. Le terme « déterminant » ne sous-entend pas un caractère inévitable ou un déterminisme; son origine est le mot latin de termine, ou « à partir du bout » (c.-à-d., à l’origine) d’une chaîne d’influences causales.

Les variations systématiques comme celles de la figure 2.1 peuvent, en principe, être corrigées : si les riches vivent plus longtemps, on peut présumer qu’il n’y a pas de raison inhérente qui empêcherait les pauvres de vivre tout aussi longtemps. Si ce désavantage peut être corrigé ou aurait pu être évité, on parle d’iniquité, ce qui sous-tend l’idée d’injustice et d’irrecevabilité. Ainsi la réduction des inégalités sociales en santé est devenu un but principal de la politique sanitaire.12 « La réduction des iniquités en santé est obligatoire sur le plan éthique. L’injustice sociale tue à grande échelle… Les conditions qui entourent la vie et la mort des personnes sont modelées par des forces politiques, sociales et économiques. »12 Un des exemples les plus marquants d’iniquité en santé au Canada est la santé des peuples autochtones, tel qu’indiqué dans l’encadré.11

Termes propres aux contrastes en niveaux de santé

Les « disparités » ou « inégalités » en matière de santé font référence à des différences systématiques dans l’état de santé qui surviennent dans des groupes de population.
Les termes « disparités » et « inégalités » désignent à peu près la même chose bien que, comme l’a remarqué Marmot on parle davantage de « disparités » aux États-Unis et d’ « inégalités » en Grande-Bretagne.13 Peu importe le terme choisi, il n’est pas réaliste de penser que toute forme d’inégalité peut être éliminée. Il faut établir des priorités, et le concept d’iniquités en matière de santé s’avère utile en ce sens. L’ « iniquité en matière de santé » désigne les inégalités en matière de santé qui sont jugées injustes ou qui découlent d’une forme d’injustice. Les iniquités constituent une incitation morale à des interventions correctives. A l’échelle mondiale, les iniquités en matière de santé entre les nations persistent en partie à cause de l’exploitation des pays en développement par les pays développés. Les commentateurs des pays riches ont tendance à qualifier ces contrastes de « disparités » plutôt que d’« iniquités », peut-être pour minimiser l’urgence de travailler à les résoudre (voir l’encadré « Disparités internationales en matière de santé » plus loin dans le chapitre).

Iniquités en matière de santé chez les peuples autochtones du Canada

La plupart des indicateurs de la santé des peuples autochtones du Canada ont connu de nettes améliorations au cours des 20 dernières années, mais ils présentent toujours un décalage par rapport aux mêmes statistiques pour l’ensemble de la population. Et nos informations ne sont pas complètes : une description des défis liés à la collecte de données sur la santé des populations autochtones est donnée dans un rapport de Statistique Canada.14 

En voici quelques points saillants :

  • L’espérance de vie à la naissance s’est améliorée au sein de la population des Premières nations. En 2000, elle atteint 68,9 ans pour les hommes et 76,6 ans pour les femmes, soit une augmentation de 13,1 % et de 12,6 %, respectivement, depuis 1980. On anticipe une durée de vie de 73 ans pour les hommes et 78 pour les femmes en l’année 2017, mais par rapport à la moyenne canadienne, ces données représentent toujours une espérance de vie raccourcie de six ans chez les hommes et cinq ans chez les femmes.15
  • En 2019, le taux de mortalité infantile au Canada était d’environ 3,7 décès pour mille naissances ; le taux chez les peuples des Premières Nations était 2,3 fois plus élevé, tandis que celui des Inuits était 3,9 fois plus élevé.
  • L’espérance de vie chez les Inuits n’atteint que 64 ans pour les hommes et 73 ans pour les femmes.
  • En 2003, les causes principales de décès chez les personnes de 1 à 44 ans étaient les blessures et les empoisonnements. Chez les enfants de moins de 10 ans, les décès résultent principalement de blessures, mais le suicide et l’automutilation priment chez les jeunes et les jeunes adultes. Chez les 45 ans et plus, les maladies circulatoires sont la première cause de décès. Ces tendances sont parallèles à celles de l’ensemble de la population canadienne.
  • En ce qui a trait au suicide, tous les groupes d’âges de moins de 65 ans chez les Premières nations présentent un risque plus élevé que chez la population canadienne. Le contraste le plus marquant se manifeste chez les femmes de 15 à 24 ans et chez les hommes de 25 à 39 ans (qui ont des taux environ huit et cinq fois plus élevés que les taux canadiens, respectivement).
  • Les Premières nations traînent un fardeau disproportionné de maladies infectieuses, dont la coqueluche (au taux trois plus élevé que la moyenne nationale), la chlamydia (taux sept fois plus élevé), l’hépatite A (taux cinq fois plus élevé), la tuberculose (taux huit à 10 fois plus élevé) et la shigellose (taux près de 20 fois plus élevé). [La shigellose est une infection bactérienne courante dans les pays en développement; elle résulte d’une eau insalubre et d’une évacuation inadéquate des eaux usées, lesquelles sont causées par la pauvreté et la piètre qualité des infrastructures.]
  • La prévalence du diabète se place à 5% environ pour la population canadienne dans son ensemble. Pour les membres des Premières Nations vivant en réserve, la prévalence (standardisée selon l’âge) était de 17 % en 2009 alors qu’elle était de 10 % pour ceux qui vivaient hors réserve. Chez les Métis la prévalence était de 7 %.
  • D’après les auto-déclarations de taille et de poids, 18 % des Canadiens non autochtones avaient un indice de masse corporelle de 30 ou plus en 2009; les chiffres pour les membres des Premières nations étaient de 40 % (dans les réserves) et de 28 % (hors réserve). Les chiffres équivalents étaient de 33 % pour les Inuits et de 25 % pour les Métis.

Les iniquités en matière de santé découlent en fin de compte de nombreux déterminants historiques et sociaux. Mais dans certains cas, les iniquités sociales en soi peuvent jouer un rôle causal dans n’importe quelle population. Par exemple, les iniquités de pouvoir entre les sexes dans certains pays africains exacerbent le risque d’infection à VIH chez les femmes parce qu’on les empêche de se protéger ou qu’on les oblige à se prostituer. Ou encore, la santé mentale d’une personne peut souffrir parce qu’elle perçoit l’injustice du maintien de l’exclusion sociale. Les sections suivantes passent en revue certains des principaux déterminants sociaux de la santé, puis examinent les analyses de la façon dont ils interagissent avec pour résultat de nuire à la santé.

Les principaux déterminants sociaux de la santé

À peu près toutes les caractéristiques d’une société peuvent influer sur la santé de ses citoyens et pourraient donc être considérées comme des déterminants de la santé. Pour ramener le sujet à des proportions gérables, les organismes comme Santé Canada et l’OMS ont identifié les déterminants sociaux de la santé qui méritent une attention particulière (voir l’encadré sur le matériel supplémentaire). Les paragraphes qui suivent résument l’incidence d’une sélection de déterminants tirés de la liste de Santé Canada.

Les principaux déterminants de la santé

Vous pouvez consulter un résumé des données probantes sur l’impact de certains déterminants sur la santé sur le site Web de l’Agence de la santé publique du Canada au : www.phac-aspc.gc.ca/ph-sp/determinants/determinants-fra.php

Voici la liste des déterminants de la santé de l’Agence de la santé publique du Canada16 : Voici la liste d’interventions possibles pour combattre les déterminants sociaux de l’Organisation mondiale de la Santé17 :
  • Niveau de revenus et situation sociale
  • Réseaux de soutien social
  • Niveau d’instruction
  • Emploi et conditions de travail
  • Environnement social
  • Environnement physique
  • Habitudes de vie et compétences d’adaptation personnelles
  • Développement sain durant l’enfance
  • Patrimoine biologique et génétique
  • Services de santé
  • Sexe
  • Culture
Améliorer les conditions de vie quotidiennes :

  • Développement du jeune enfant
  • Planification urbaine
  • Pratiques équitables en matière d’emploi et travail décent
  • Protection sociale
  • Soins de santé universels

Lutter contre les inégalités dans la répartition du pouvoir, de l’argent et des ressources :

  • Inclusion de l’équité en santé dans les critères de performance du gouvernement
  • Affectation de ressources à la santé
  • Réglementation internationale
  • Équité entre les sexes
  • Bonne gouvernance à l’échelle du monde

Mesurer le problème, l’analyser et évaluer l’efficacité de l’action :

  • Observation, recherche et formation
Un médecin de famille à Saskatchewan, Ryan Meili, a donné une conférence TED sur les déterminants sociaux de la santé et les impératifs politiques qui en découlent.

Le développement du jeune enfant

Lorsqu’un médecin traite une maladie, il intervient pour corriger un processus qui a souvent commencé de nombreuses années plus tôt. La perspective du parcours de vie étend les origines d’une maladie jusqu’à l’enfance, et même jusqu’à l’exposition des parents du sujet.18, 19 L’alimentation et le niveau de stimulation lors de la petite enfance influent sur le développement physique et émotionnel et peuvent renforcer la résilience (s’ils sont positifs) ou augmenter la vulnérabilité (s’ils sont négatifs). Les expériences traumatisantes de la petite enfance façonnent la personnalité et ont un effet durable sur la manière dont une personne perçoit le monde où elle vit, sur ses interactions avec son entourage et sur son interprétation des événements. Une famille désunie ou un stress chronique pendant l’enfance ont des effets non spécifiques, qui se manifestent principalement par une plus grande vulnérabilité affective à l’âge adulte.20 L’identification des périodes critiques dans le développement du jeune enfant a popularisé les programmes de stimulation des nourrissons, comme Head Start.

Le niveau de revenus et la situation sociale

Bien que la liste des déterminants de Santé Canada combine le revenu et le statut social, il peut être utile de les décortiquer. Le statut social comprend à la fois la position formelle d’une personne dans la société (étudiant, gestionnaire, retraité) et les sentiments subjectifs de prestige que leur position leur confère. Cette dernière peut être pertinente pour comprendre la santé mentale, alors que pour des conditions telles qu’une blessure professionnelle, la position sociale de la personne peut être la plus pertinente. Le statut social est en partie inné, mais il est largement atteint grâce à l’éducation et, de ce fait, à l’activité exercée. Elle est également influencée (et à des degrés divers) par des facteurs tels que l’ethnicité, la personnalité et le hasard. Tous ces facteurs sont liés à un niveau de richesse qui influe sur l’éventail des options de mode de vie de la personne.

Il est pratiquement impossible de séparer les effets sur la santé de chacun de ces facteurs : en termes épidémiologiques, un exemple d’un facteur de CONFUSION. En fin de compte, peu importe : quel que soit le marqueur de statut social et quel que soit l’indicateur de santé utilisé, il existe une tendance universelle pour ceux qui occupent des positions sociales plus élevées à jouir d’une meilleure santé. Les exceptions sont rares et reflètent souvent le fonctionnement d’autres facteurs : par exemple, les taux élevés de cancer du sein chez les femmes à revenu plus élevé ne sont probablement pas dus à la richesse, mais à une première grossesse retardée liée à l’établissement d’une carrière. D’autres exemples de gradient inverse sont transitoires et reflètent le changement social. Un exemple s’est produit dans les années 1930, alors que les maladies cardiaques augmentaient et que les cas se produisaient souvent chez les personnes plus riches qui pouvaient se permettre un régime cardiogénique et un mode de vie sédentaire. Par la suite, le déclin des maladies cardiaques s’est produit plus rapidement chez les personnes plus riches et mieux informées, de sorte que le gradient de revenu inverse familier s’est produit.21

L’impact du revenu sur la santé – en particulier un revenu insuffisant – peut être décrit en termes relatifs ou absolus, termes qui peuvent s’appliquer aux individus et à la société dans son ensemble. La pauvreté absolue désigne un manque de ressources pour combler les besoins fondamentaux : un logement, une alimentation nutritive, des vêtements et de l’instruction. Les personnes pauvres n’ont pas suffisamment de ressources et de possibilités pour faire des choix qui favorisent la santé. Dans les pays à faible revenu, leur pauvreté absolue et le manque d’infrastructures qui en résulte constituent le déterminant fondamental de la santé. Dans les premières étapes du développement économique, l’état de santé de la population s’améliore rapidement à mesure que le revenu national augmente jusqu’au point où les produits de première nécessité (nourriture et logement) sont disponibles pour pratiquement tous (voir l’encadré « Disparités en matière de santé à l’échelle internationale »). Au-delà de ce point, cependant, de nouvelles augmentations de la richesse nationale ont moins d’effet sur l’amélioration de la santé. Au lieu de cela, la santé globale dans les pays riches est davantage influencée par l’uniformité de la répartition des revenus au sein de la société, ou l’inégalité relative des revenus : un marqueur de l’éventail des revenus entre les différents niveaux de la société. Dans deux sociétés qui ne souffrent plus de pauvreté extrême, celle dont l’écart de revenus autour de la moyenne globale est le plus étroit aura une plus grande longévité.22

Les disparités en matière de santé à l’échelle internationale

En 2022, les Canadiens peuvent s’attendre à vivre en moyenne jusqu’à l’âge de 83 ans, tout comme les Français. Les citoyens du Japon et de Singapour nous survivent (86 ans), ainsi que les Australiens (84,3 ans) tandis que les Américains ont une espérance de vie moyenne de 80 ans, ce qui les place en 54e position dans un classement international. Les disparités entre les nations sont frappantes : les Japonais vivent en moyenne 86,7 ans, 25 ans de plus que les citoyens de Sierra Léone, de Botswana ou de Swaziland.

Parmi les pays les plus pauvres, la longévité augmente rapidement avec l’accroissement de la richesse nationale, comme l’illustre la figure ci-dessous. Cependant, au-delà d’un revenu national brut d’environ 20 000 $ US par an, les gains en espérance de vie s’aplatissent et d’autres améliorations semblent découler davantage de la façon dont les revenus sont répartis au sein des sociétés que de l’augmentation du RNB global. Ceci a été magnifiquement décrit dans une courte vidéo de Hans Rosling : http://www.youtube.com/watch?v=jbkSRLYSojo

Figure 2.2 Espérance de vie et revenu national brut par habitant, 2012-2013 (Statistiques tirées des rapports de l'OMS et de la Banque mondiale).
Espérance de vie et revenu national brut par habitant, 2012-2013 (Statistiques tirées des rapports de l’OMS et de la Banque mondiale).

Source : Espérance de vie, Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_life_expectancy_life_expectancy
Revenu national brut par personne http://data.worldbank.org/indicator/NY.GNP.PCAP.PP.CD

Point de discussion : Comment pourriez-vous expliquer le modèle présenté dans le graphique avec vos propres mots ?

Quels sont les mécanismes pour cela ? Dans chaque société, il y a des riches et des pauvres, et les plus riches ont une meilleure santé (figure 2.1). Plus la richesse globale s’améliore, plus la santé s’améliore, mais les groupes plus riches atteignent un plafond au-dessus duquel une richesse encore plus grande ne peut plus améliorer leur santé. Pendant ce temps, les plus pauvres sont à la traîne en matière de santé, ce qui fait baisser la moyenne, de sorte qu’une redistribution de la richesse leur permettrait d’améliorer la santé moyenne plus efficacement que les augmentations générales. Par conséquent, dans les pays riches, la taille relative et le désavantage du segment le plus pauvre de la population (c’est-à-dire l’étendue de l’inégalité des revenus) devient un meilleur prédicteur de la santé globale que le revenu national total; les pays qui redistribuent la richesse par le biais de politiques fiscales aux personnes les plus pauvres ont tendance à avoir une meilleure santé globale. Cette association entre la pauvreté relative et la santé est appelée inégalité de revenu en santé (voir INIQUITÉ EN SANTÉ dans le glossaire) et a été largement discutée9, 17, 23-25.

Au niveau de traitement d’un patient, tel que Paul Richard (rencontré au chapitre 1), il peut y avoir des agences locales pour aider le clinicien – voir les cases suivants :  

Les malheurs persistants de Paul

Un autre patient du Dr Rao, Paul Richard, continue d’éprouver des difficultés. Il y a six mois, Paul a eu un accident minier qui l’a empêché de travailler et il a depuis lors développé une angine de poitrine. Il semble peu probable qu’il trouvera un jour un autre emploi parce que la plupart des emplois de bureau offerts exigent des personnes plus instruites que lui. L’argent est rare; sa pension d’invalidité est insuffisante. Paul et son épouse Julie comptent sur un poêle à bois pour chauffer leur maison en hiver parce que le bois est gratuit tant que Paul le ramasse lui-même – difficile à cause de son incapacité. La banque alimentaire, qu’ils utilisent régulièrement, ne fournit que des aliments transformés riches en glucides ou en matières grasses et en sel, de sorte qu’une saine alimentation est un problème.

Travailler auprès de patients vivant dans la pauvreté

Beaucoup d’organismes de santé ont pour mandat d’offrir des soins aux pauvres. Par exemple, les centres de santé communautaire en Ontario traitent souvent des personnes sans assurance et sans abri et cherchent à créer une atmosphère où ces gens se sentent à l’aise. Le personnel socio-sanitaire des centres de santé communautaire est composé de médecins, d’infirmières praticiennes, de nutritionnistes, de travailleurs sociaux et de travailleurs d’approche, qui adaptent leurs programmes aux besoins de la clientèle locale et peuvent fournir certaines ressources (une unité de réduction des méfaits, des ateliers pour les nouveaux immigrants, des cours pour apprendre à cuisiner selon ses moyens, et ainsi de suite). Il arrive souvent que les membres de groupes ethniques utilisent le centre après les heures d’ouverture pour des réunions et des activités d’entraide.

Le niveau d’instruction et la littératie en matière de santé

L’éducation est à la fois le résultat et un facteur contribuant à la position sociale. La position sociale des parents d’un enfant influence son accès aux possibilités d’éducation. L’éducation qui en résulte influence les possibilités d’emploi et, par conséquent, le revenu, et influence les personnes qu’il rencontre et l’endroit où il vit. Tous ces facteurs influencent indirectement la santé d’une personne. La démence en est un exemple. Ici, un manque d’instruction peut mener à des carrières qui exposent le travailleur à des substances neurotoxiques qui endommagent les fonctions cérébrales. Inversement, l’enseignement supérieur et les carrières stimulantes qui l’accompagnent peuvent construire des réseaux neuronaux complexes qui protègent le cerveau vieillissant.26 L’éducation a aussi une influence plus immédiate sur la santé en ce qu’elle affecte la capacité d’une personne à naviguer dans le système de soins de santé, à interpréter l’information sur la santé et à communiquer efficacement avec les médecins et autres professionnels.27, 28 La « littératie en matière de santé » fait référence à la capacité du patient à comprendre l’information sur la santé et à suivre les directives pour son traitement. Plusieurs sources ont conclu qu’entre 50 % et 60 % des Canadiens ont un niveau d’alphabétisation qui ne leur permet pas de négocier efficacement le système de soins de santé, de suivre des conseils écrits sur les soins de santé et sur leurs médicaments.27, 29  Les médecins doivent garder à l’esprit que notre système de santé de plus en plus complexe exige beaucoup des compétences en lecture et en résolution de problèmes des patients.

Les réseaux de soutien social

Mme Sulawesi n’a pas de réseau social de soutien. Personne d’autre ici ne parle sa langue maternelle et elle se sent seule dans un lieu étranger. Le soutien social profite à la santé de plusieurs façons. Il offre une source de réconfort émotionnel qui aide une personne à faire face à l’adversité. Le soutien social peut fournir de l’information, des conseils et un soutien pratique, comme connaître quelqu’un qui peut aider en cas de besoin. Il peut aussi aider les gens pendant le processus de changement de comportement en matière de santé. Les personnes qui ont un réseau de liens sociaux forts, qui appartiennent à des clubs ou à des organisations, qui donnent et reçoivent de l’aide ou qui font du bénévolat, déclarent se sentir en meilleure santé que d’autres.30 Une conférence TED montre comment un médecin a acquis un aperçu des réseaux sociaux de ses patients.

L’association entre les liens sociaux et la santé est également valable au niveau de la population : les communautés qui établissent des réseaux de collaboration sont résilientes et mieux à même de relever les défis sociaux et économiques, de sorte qu’elles peuvent être considérées comme plus saines. Le capital social désigne une ressource qui découle de la volonté des gens de coopérer et de s’engager dans une action collective; cette volonté renforce la confiance au sein du réseau. Les programmes de surveillance de quartier en sont un exemple. Par contre, un faible capital social est caractérisé par la suspicion et l’hésitation à collaborer avec les autres; cela peut se produire lorsqu’il y a de grandes disparités de revenu et une perception des inégalités sociales. Diverses études ont établi un lien entre l’augmentation du capital social et la réduction de la mortalité toutes causes confondues25 et l’amélioration du mieux-être, des soins aux enfants et de la criminalité.31 

L’emploi, les conditions de travail et la santé au travail

Selon l’OMS, les pratiques équitables en matière d’emploi et un travail décent sont les pierres angulaires de la santé. L’Organisation préconise un salaire minimum juste, le plein emploi et des normes de santé et de sécurité en milieu de travail.16 Bien que le taux global de chômage au Canada soit bas, vers 6 ou 7 %, il existe des iniquités dans certaines régions et groupements de population (p. ex., 11,5 % des nouveaux immigrants sont chômeurs, et beaucoup d’autres sont sous-employés).32

Les conséquences du chômage sur la santé ont fait l’objet d’études approfondies et révèlent des relations complexes. Dans l’ensemble, les personnes qui perdent leur emploi perçoivent une santé réduite et une mortalité accrue, mais l’effet varie selon l’âge, le sexe et le niveau d’instruction.33 Cependant, l’impact sur la santé varie en fonction du niveau général de chômage : lorsque de nombreuses personnes perdent leur emploi, l’impact sur la santé semble moins grave.34 L’emploi et le chômage exercent une influence sur la santé principalement par leurs effets stressants.

Stress et tension

Le stress au travail (voir MALADIE AGGRAVÉE PAR LE TRAVAIL dans le Glossaire) découle des exigences du travail d’une personne, modifiées par la perception de son contrôle sur celles-ci, sa satisfaction au travail, les niveaux perçus de risque physique et la sécurité d’emploi.

Malheureusement, le stress et la pression sur la santé qui en résulte ne sont souvent pas distingués dans la littérature sur la santé, où le stress peut se référer à la fois à l’intrant (le « facteur de stress ») et au résultat (la maladie qui en résulte). Les termes sont distingués en ingénierie, où le stress ou la contrainte se réfère à la charge placée sur une structure et la tension se réfère à la déformation de la structure qui en résulte. C’est une métaphore pratique de la maladie et il semblerait utile de conserver cette distinction.

Le stress au travail fait référence à des niveaux élevés d’exigences liées à la situation de travail, souvent accentués par le faible niveau de contrôle du travailleur sur la situation (voir les définitions dans l’encadré). De telles exigences peuvent dépasser la capacité d’adaptation de la personne et entraîner des sentiments de tension, peut-être aussi des troubles tels que l’hypertension, les ulcères gastro-duodénaux, les migraines et autres. Le stress professionnel touche de nombreux Canadiens, surtout les femmes.35 Il coïncide avec d’autres déterminants, comme le revenu : les ménages aux revenus les plus faibles déclarent des niveaux élevés de stress professionnel en raison de la précarité et de l’insatisfaction liées au travail. Les travailleurs qui disent avoir un emploi précaire éprouvent davantage d’effets physiques et mentaux indésirables.36 Le stress professionnel peut découler de la combinaison d’exigences psychologiques élevées (comme le fait de devoir travailler rapidement) et d’un manque de liberté par rapport aux décisions relatives au travail (comme le fait d’avoir un poste de subordonné).37 Ce stress résulte aussi d’une disparité entre l’effort exigé et la récompense : les postes peu rémunérés qui exigent un effort important donnent lieu à un stress, ce qui mène souvent à des troubles de santé.38 Selon une étude dans le cadre de laquelle on a suivi 10 000 fonctionnaires britanniques pendant dix ans, le manque de contrôle en milieu de travail augmente le risque de maladies cardiaques subséquentes.39 La réorganisation du milieu de travail afin d’offrir une plus grande variété de tâches et plus de pouvoir décisionnel au travail peut réduire le risque.

Les accidents du travail

Les accidents du travail sont une cause importante d’invalidité et de mortalité au Canada. En 2020, 313 travailleurs canadiens sont décédés suite à une blessure au travail ; 611 autres sont décédés des maladies liées au travail.40 Il y a eu plus de 253 000 demandes d’indemnisation pour temps perdu au travail en raison d’une blessure ; 62 % environ touchaient les hommes.41 Plus le revenu d’un travailleur est faible, plus il est susceptible d’être victime d’une blessure professionnelle.42 

L’historique professionnel de Paul

Enfant, Paul ne s’intéressait pas à l’école. Il avait de la difficulté à suivre en classe. Ses parents ne voyaient pas la valeur de l’instruction, car on pouvait trouver dans les mines de bons emplois qui n’exigeaient pas d’études. Cependant, sous les tendances de l’économie globale l’industrie minière a subi des revers et les directeurs de compagnies se sont permis des libertés avec les lois en matière de sécurité. Paul s’est rendu compte que son travail était précaire. Cela le préoccupait, mais il ne voyait aucune façon de s’en sortir. Il devait passer outre aux consignes de sécurité et travailler de longues heures. À la fin d’un quart de 12 heures, Paul a fait une chute et s’est tordu le cou en portant une charge lourde et encombrante. Cette blessure a causé son arrêt de travail.

Pour l’instant, Paul est sans emploi et touche une indemnité d’accident du travail. La menace de réduction des effectifs de sa mine a probablement ajouté à son niveau de stress au cours de la période précédant l’accident ; cela s’est ajouté au stress physique et mental associé au travail à risque élevé. Bien que l’indemnisation des travailleurs puisse répondre à certains de ses soucis financiers, elle ne correspondra pas au revenu qu’il gagnait en tant que mineur, et ses perspectives d’emploi futur sont limitées, ce qui aggrave encore plus son stress.

Le fardeau des obligations familiales : être aidant naturel

Prendre soin d’un parent malade ou âgé occasionne souvent un travail non rémunéré, surtout pour les femmes. Chez les aidants naturels qui ont aussi un emploi, cela peut augmenter le stress professionnel et nuire à la sécurité d’emploi en raison des absences liées au soin du parent. La diminution du revenu qui en découle a des répercussions sur toute la famille. Plusieurs pays ont mis sur pied de l’aide financière pour les aidants naturels, tel que les prestations de compassion dans le cadre de l’assurance-emploi au Canada en 2006 pour offrir un revenu supplémentaire aux personnes qui prennent soin de parents malades.

L’environnement physique

Les influences environnementales sur la santé peuvent être positives ou négatives, et existent à tous les niveaux géographiques, depuis les problèmes mondiaux (changement climatique) jusqu’aux problèmes nationaux et régionaux (destruction de l’environnement due à la guerre; pollution de l’air et de l’eau), en passant par les problèmes de l’environnement bâti local (l’appartement moisi de Mme Sulawesi). Les avantages positifs de passer du temps dans un paysage magnifique sont universellement reconnus (voir l’encadré « Lieux positifs »), mais la plupart des recherches en santé se concentrent sur les influences négatives de l’environnement. L’exposition aux contaminants de l’air, de l’eau, et du sol est associée aux maladies transmissibles et non transmissibles. Les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes associés affectent de plus en plus la santé publique : hyperthermie due à la chaleur extrême; brûlures dues aux incendies; blessures causées par des vents et des pluies extrêmes; perturbation sociale due au changement du niveau de la mer; sous-alimentation dans les zones pauvres en raison de l’impact sur l’agriculture; risque accru d’infections transmises par les aliments, l’eau et les vecteurs et les agents infectieux et la distribution changeante des vecteurs et des agents infectieux qui peuvent introduire des maladies dans des régions auparavant non affectées.43 Peu de communautés seront à l’abri et il y a très peu de solutions à court terme. D’autres renseignements d’un point de vue canadien se trouvent dans les rapports de Ressources naturelles Canada.44, 45 

Lieux positifs

Il existe de nombreux exemples des effets bénéfiques des lieux sur la santé. Les chambres d’hôpital avec vue sur un jardin peuvent accélérer le rétablissement;46 un sentiment d’attachement au lieu procure aux personnes âgées un sentiment d’estime de soi et de sécurité;47 le jardinage a des bienfaits pour la santé48 et le contact avec la nature confère un éventail de bienfaits pour la santé.49 

La pollution atmosphérique au Canada

Environnement Canada présente les tendances encourageantes dans les niveaux d’émissions de polluants atmosphériques. En 2022, et par rapport aux niveaux de 1990, les exemples notables comprennent une baisse de 95 % des émissions de cadmium, de 91 % des émissions de mercure, de 88 % des émissions de plomb, de 78 % des émissions de dioxydes de soufre et de 65 % des émissions de monoxyde de carbone (CO). La source majeure de CO est l’industrie du transport. Le CO est en baisse constante depuis que l’on a resserré les normes régissant les émissions des véhicules, mais il provient aussi de sources naturelles comme les feux de forêt, qui varient considérablement mais qui sont liés aux changements du climat. La santé respiratoire est également influencée par les matières particulaires totales (MPT) dans l’air. La quantité de MPT de sources industrielles a diminué d’environ 44% entre 1990 et 2012, mais cela ne représente qu’une petite partie du problème global : près de 95 % des MPT proviennent de « sources ouvertes » : la poussière des routes, de l’agriculture et des chantiers. Les MPT de ces sources ont augmenté de 33 % entre 1990 et 2020, principalement en raison de la construction et de la conduite sur les routes non goudronnées.

Le mouvement du transport actif cherche des moyens d’encourager le transport à propulsion humaine (à pied ou à bicyclette plutôt qu’en voiture) comme approche efficace pour réduire la pollution tout en favorisant la bonne forme physique. Sa faisabilité dépend des caractéristiques de l’environnement bâti, comme la proximité des destinations pertinentes, la sécurité perçue, l’aménagement des rues et aussi l’environnement naturel, comme les parcs ou les sentiers.50 La préférence nord-américaine pour le transport motorisé privé demeure forte; comme les gens vivent plus loin du centre-ville, ils conduisent davantage, ce qui augmente le risque de collisions de véhicules, ainsi que « des taux plus élevés de maladies cardiaques et respiratoires et d’obésité, et un stress élevé lié à la fois à la circulation congestionnée et à l’augmentation des niveaux de bruit ».17 Dans les zones rurales où la voiture privée est le seul moyen de transport et où la marche ou le vélo est impraticable (et souvent dangereux en raison des conditions routières), la prévalence de l’obésité est plus élevée que dans les zones urbaines, et les accidents de la route sont fréquents.

Les services de santé individuelle et publique

Les percées dans les soins de santé ont entraîné des avantages énormes pour la santé et la longévité dans les pays développés. Les produits pharmaceutiques, y compris les antibiotiques, l’antisepsie, et les chirurgies salvatrices ont révolutionné la prise en charge de la plupart des maladies.
Cependant, l’impact le plus impressionnant est venu des interventions de santé publique telles que l’assainissement et les mesures de contrôle des maladies transmissibles et de la prévention des maladies (immunisation, mesures de contrôle du tabac et dépistage).51 Les mesures techniques de base, telles que la protection de l’approvisionnement en eau, l’amélioration de la production alimentaire ou la réduction du surpeuplement des maisons, ont souvent le plus grand impact sur la santé globale. Ceci est illustré par le déclin de la tuberculose en Angleterre et au Pays de Galles. Comme le montre la figure 2.2, la mortalité due à la tuberculose avait diminué pendant au moins 100 ans avant l’introduction d’un traitement efficace; cette baisse précoce a été obtenue par des moyens non spécifiques tels que l’amélioration du logement et de la nutrition, et par des mesures législatives spécifiques telles que l’interdiction de cracher en public pour réduire la transmission de la maladie. La polio, la variole et la coqueluche ont connu des déclins similaires, qui ont tous réagi de façon spectaculaire à l’amélioration de l’hygiène bien avant que des traitements médicaux efficaces ne soient mis au point.

Figure 2.3 : La baisse historique de la tuberculose en Angleterre et au pays de Galles, 1840–1970, indiquant les découvertes essentielles à la compréhension de la maladie
Figure 2.2 : La baisse historique de la tuberculose en Angleterre et au pays de Galles, 1840–1970, indiquant les découvertes essentielles à la compréhension de la maladie

Les interventions de santé publique visant à améliorer la qualité de l’air ou de l’eau profitent à tous les citoyens, alors que les avantages des soins médicaux individuels sont moins uniformément répartis : environ quatre millions de Canadiens n’ont pas accès à un médecin de famille.52 Malgré les soins de santé universels assurés, l’accès aux médicaments, à la dentisterie, aux soins à domicile et au soutien à domicile peut être considérablement affecté par le revenu. Mais même lorsque les obstacles financiers aux soins sont éliminés, nous courons le risque d’inégalités persistantes en matière de santé si les programmes ne sont pas accessibles en raison de l’emplacement ou de l’inconfort qu’éprouve une personne à utiliser les installations. Les bureaux des praticiens ont tendance à être construits dans des quartiers plus riches, où la valeur des propriétés sera préservée et où la qualité de vie de leurs employés est plus attrayante, mais où le besoin de soins est plus faible. De même, les installations pertinentes à la promotion de la santé, comme les installations d’exercice commercial, sont moins susceptibles d’être construites dans les quartiers à faible revenu ou les quartiers d’immigrants.53 Il existe une tension inhérente entre l’efficacité économique, qui mène au regroupement des services spécialisés dans les zones urbaines, et l’accès géographique pour les gens dans les zones rurales. La plus grande amélioration globale de la santé peut maintenant provenir de l’amélioration de l’accès des groupes défavorisés : médecine à distance pour les personnes vivant dans des régions éloignées; centres de santé communautaires pour les habitants des rues, les travailleurs du sexe et les toxicomanes; cliniques de planification familiale pour les adolescents et cliniques qui répondent aux besoins des quartiers multiethniques où les membres du personnel parlent des langues minoritaires et dispensent des soins culturellement appropriés.

Le sexe et le genre

Le sexe fait référence à notre identité biologique en tant qu’homme ou femme, tandis que le genre fait référence à la différence de statut, de style de vie et d’accès aux services liés au sexe de la personne. Il fait référence à « l’ensemble des rôles et des relations socialement construits, des traits de personnalité, des attitudes, des comportements, des valeurs, du pouvoir relatif et de l’influence que la société attribue aux deux sexes sur une base différentielle ».54

À l’heure actuelle, les femmes au Canada vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, comme l’illustre la figure 2.1, bien que les femmes souffrent de plus nombreux épisodes de morbidité que les hommes. Les différences biologiques entre les sexes, le développement précoce de maladies mortels comme les maladies cardiaques chez les hommes, ainsi que les contrastes dans la répartition d’autres déterminants de la santé contribuent à cet écart.55 Toutefois, et surtout en raison du mouvement féministe, on a porté une attention particulière aux disparités de genre. Elles surviennent dans toutes les sociétés, touchent au pouvoir, à la liberté, aux ressources et aux valeurs, et peuvent avoir des répercussions sur la santé. Certains des exemples les plus frappants sont l’exploitation des femmes dans l’industrie du sexe, les mariages de femmes mineures ou les conditions de travail dans les ateliers clandestins de l’industrie du vêtement. Dans les pays développés, il existe souvent des iniquités du revenu liées au genre; les femmes (à l’extérieur de l’industrie agricole) gagnent environ 20 % de moins que les hommes.56 Comme les parents seuls sont presque toujours des femmes, le revenu inférieur des femmes concerne aussi leurs enfants.17

Les iniquités en santé liées au genre ne résultent pas uniquement des disparités du revenu; le genre est aussi associé à l’accès différentiel aux services de santé, aux obligations inégales de s’acquitter des tâches familiales non rémunérées et aux disparités dans la nutrition.23 Des iniquités liées au genre existent également dans la recherche sur la santé : par le passé, il était plus probable que les essais cliniques aient recours à des sujets expérimentaux de sexe masculin bien que les bienfaits de nombreuses interventions varient entre les hommes et les femmes.57, 58 Par exemple, malgré l’augmentation de mortalité cardiovasculaire chez les femmes elles sont moins impliquées dans les études.59 Les femmes ne présentent pas une maladie cardiaque de la même façon que les hommes et sont moins susceptibles de recevoir un bon diagnostic et un traitement en temps opportun. Étant donné ces désavantages d’être une femme, nous n’avons pas encore expliqué pourquoi les femmes vivent plus longtemps. Cela s’explique en partie par les différences entre les sexes dans la prise de risque, qui est à son tour liée à la culture.

La culture

« La culture est un système d’idées, de valeurs et de métaphores que l’on utilise ou que l’on incarne de manière consciente ou subconsciente dans la vie de tous les jours. Il ne s’agit pas d’un strict ensemble de traits comportementaux, mais d’un système fluide et adaptatif d’attribution de sens. » 60 La culture « explique le savoir-faire pour bien fonctionner dans une société. » 61 Quelques termes connexes sont définis dans l’encadré réservé aux définitions.

Partage et transmission de la culture

La culture s’apprend et se transmet de génération en génération par le processus de socialisation. Les parents transmettent des valeurs culturelles, mais il en va de même pour les groupes de pairs et les écoles. Les jeunes ont ainsi souvent du mal à choisir le code culturel à suivre; ils reçoivent des messages contradictoires, ce qui peut mener à la rébellion des adolescents et à d’importantes conséquences sur la santé, comme la consommation de drogues. Cette tension peut être amplifié dans les familles d’immigrants si les parents ne comprennent pas la culture locale adoptée.

La culture n’est pas unitaire. La plupart des sociétés identifient une culture dominante et diverses sous-cultures. Ceux-ci peuvent être définis en termes d’âge (culture adolescente), de mode de vie (culture gaie), d’ethnicité (antillais), d’emplacement (culture de rue) ou même de problèmes de santé (culture de la drogue, Alcooliques anonymes). La plupart des individus appartiennent à plusieurs groupes culturels en même temps.

Race et ethnicité

L’ethnicité est un terme imprécis pour désigner l’identité collective selon une combinaison de la race, de la religion ou d’une histoire particulière. Un groupe ethnique partage des coutumes culturelles qui le distinguent des groupes environnants. À la différence de la race, les caractéristiques ethniques partagées sont des valeurs, des normes et des idées plutôt que des caractéristiques physiques. Les groupes ethniques sont habituellement des sous-groupes d’une culture ou d’un regroupement racial. L’ethnicité peut désigner la manière dont une personne se décrit selon son origine, son histoire et sa culture.

La race est une classification quasi biologique des êtres humains qui se fonde sur les caractéristiques physiques communes héréditaires : « Une division de l’espèce humaine possédant des traits qui sont transmissibles par la descendance et suffisants pour être caractérisés comme étant de type humain. » La race n’est pas une classification rigoureuse sur le plan scientifique. Il existe des mélanges parmi les races, et il peut y avoir davantage de variabilité génétique dans une même race qu’entre deux races.

Le multiculturalisme est la reconnaissance de la diversité raciale et culturelle et le respect des coutumes et des croyances des autres. Il comprend le droit à l’égalité des chances et de la reconnaissance, sans distinction de race, de couleur ou de religion.

Racisé fait référence au processus consistant à se concentrer sur l’identité racial en tant que caractéristique saillante d’une personne ou d’une groupe, pour les marginaliser et les discriminer. Cela détournera souvent l’attention des véritables déterminants de la santé, comme la pauvreté.

Les préjugés sont des idées sans fondement (généralement négatives, mais pouvant aussi être positives) au sujet d’un groupe (racial, social ou ethnique). Ces idées résistent au changement et se prêtent rarement à une discussion logique.

La culture filtre l’effet d’autres déterminants sociaux, influençant la façon dont les groupes d’individus réagissent à leur situation et à leur environnement. Nos antécédents culturels influencent nos croyances, nos comportements, nos perceptions, nos émotions, notre langage, notre alimentation, notre image corporelle et nos attitudes face à la maladie, à la douleur ou au malheur, qui peuvent tous influencer la santé et l’utilisation des soins de santé.62 Cependant, bien que les cultures puissent être partagées, les gens sont loin d’être homogènes et nous ne devons jamais supposer que tous les membres d’une culture auront les mêmes normes et valeurs ou réagiront de la même manière aux nouvelles idées et connaissances. Certaines erreurs et préjugés peuvent être évités en prenant soin de considérer la culture comme influençant le comportement dans chaque contexte spécifique, plutôt qu’en général.62 Le chapitre 3 explore comment les cliniciens peuvent intégrer la conscience culturelle dans leur pratique quotidienne de la médecine.

Déterminants et facteurs de risque

La référence à la culture d’une personne comme filtre pour d’autres déterminants sociaux introduit l’idée d’étapes multiples dans la chaîne causale d’une maladie, allant des déterminants sociaux les plus larges, en passant par les influences environnementales locales, jusqu’aux facteurs de risque personnels. Une métaphore commune de la causalité (et de la prévention) d’une maladie distingue les facteurs sous-jacents ou distaux, comme une politique gouvernementale qui couvre la prestation de services de vaccination, les facteurs intermédiaires comme l’accessibilité des établissements de santé locaux et les facteurs proximaux comme le choix d’obtenir ou non d’une immunisation. Une métaphore équivalente fait référence aux facteurs en amont et en aval (voir l’illustration).

Métaphore de l’amont et de l’aval

Cette métaphore met en contraste les approches cliniques et de santé publique; elle imagine une rivière dangereuse dans laquelle des gens se sont noyés. Suivant un modèle clinique, les secouristes travaillent en aval mais ont du mal à les retirer, mais ils se rendent compte que, peu importe à quel point ils travaillent dur, ils ne peuvent pas sauver toutes les victimes. Ils discutent de la façon d’amasser des fonds pour embaucher plus de personnel, peut-être pour payer les panneaux d’avertissement. Par contre, l’approche de santé publique recommande de regarder en amont pour comprendre pourquoi les gens tombent ou sautent dans la rivière. On peut peut-être y remédier, par exemple en construisant un pont ou en installant une clôture, ou même (dans une approche axée sur la santé de la population) en s’attaquant aux déterminants des tentatives de suicide.

Les déterminants sociaux établissent les grandes tendances de la santé dans les groupes ou les populations : ils fixent les taux d’incidence de la maladie. Mais les déterminants n’identifient pas la personne qui tombera malade. Il y aura toujours une variabilité individuelle autour des moyennes indiquées dans un graphique comme la figure 2.1 : certains individus vivent plus longtemps que la moyenne de leur groupe de revenu et d’autres ont une vie plus courte. Cette variabilité au sein d’un groupe est surtout attribuable à l’équilibre au niveau de l’individu entre les facteurs de risque personnel et les facteurs de protection – les caractéristiques de la personne, son comportement, sa biologie ou son environnement qui se combinent pour augmenter ou réduire son niveau de risque par rapport à celui du groupe. Pour expliquer un cas individuel, nous devons considérer à la fois les déterminants sous-jacents de l’incidence de la maladie dans la population qui fixent le risque absolu pour le groupe auquel il ou elle appartient, ainsi que les facteurs de risque individuels qui modifient le taux de base pour cette personne, relatif au risque absolu dans le groupe.

Nous pouvons maintenant étendre le diagramme de l’histoire naturelle d’une maladie, présenté au chapitre 1, pour montrer une chaîne de causalité comme l’illustre la figure 2.3. La chaîne est étalée sur la durée de vie d’un individu :18

Figure 2.4 : Précurseurs et évolution clinique de la maladie
Figure 2.3 : Précurseurs et évolution clinique de la maladie

Bien que la terminologie soit incohérente entre les auteurs, il peut être logique de se référer à une influence telle que le statut socio-économique comme facteur de risque lorsqu’il s’agit d’un individu (le revenu limité de Paul l’a forcé à compter sur la collecte de bois pour se chauffer) et comme un déterminant lorsque l’accent est mis sur les processus de groupe (la hausse des prix du mazout de chauffage a particulièrement durement frappé les familles les plus pauvres). Le tabagisme de Paul est un facteur de risque, mais il a été influencé dans une certaine mesure par le mode de tabagisme dans le groupe social dans lequel il vit – la culture de groupe. Cette tendance s’est développée dans le contexte des déterminants sociaux tels que les politiques nationales régissant le tabac; ces politiques avaient à leur tour des racines économiques et historiques. Comme la plupart des facteurs de risque modifiables concernent le comportement individuel, les sections suivantes passent en revue les modèles explicatifs des comportements liés à la santé.

Les déclencheurs de l’angine de Paul

Paul Richard a d’abord remarqué sa douleur de poitrine en ramassant du bois pour le poêle de sa famille. Selon lui, ce n’est rien de grave ; il ne se sent pas vieux et il a arrêté de fumer, bien qu’il fume à l’occasion dernièrement lorsqu’il est avec ses amis ; comme ils sont tous des fumeurs, il est difficile de refuser une cigarette. Julie lui avait rappelé que son père est décédé d’une crise cardiaque à l’âge de 62 ans et a insisté pour qu’il consulte le Dr Rao à ce sujet.

Étant donné les antécédents familiaux de Paul, son mode de vie et le genre de douleur dont il dit souffrir, le Dr Rao soupçonne une angine d’effort d’intensité légère. Il sait que ce diagnostic est commun chez un homme de l’âge et statut socioéconomique de Paul. Mais donné que le Dr Rao ne peut rien faire pour modifier ces déterminants, il discute des risques de l’activité physique, notamment de l’effort intense qu’exige le transport de bûches, surtout pour un homme comme Paul, généralement sédentaire et pas très en forme.

Causes, facteurs de risque et déterminants

La référence à la CAUSE est plus utile lorsqu’il s’agit d’un cas individuel, comme l’angine de Paul. Les causes fonctionnent généralement en chaîne ou en séquence causale; la chaîne forme les « causes » d’un cas. Ils se divisent généralement en causes sous-jacentes, contributives, et immédiates. En médecine clinique, cela peut être interprété comme la séquence étiologique. Fumer a endommagé les vaisseaux sanguins de Paul; les dommages signifient que ses vaisseaux coronaires ne peuvent pas réagir adéquatement à l’effort, de sorte que l’ischémie qui en résulte cause l’angine.

La notion de DÉTERMINANT est généralement utilisée pour expliquer les schémas de santé ou de maladie chez des groupes de personnes. Les déterminants opèrent à un niveau antérieur, « en amont » ou « distal » dans la chaîne causale globale. Les déterminants font référence aux circonstances qui produisent des causes proximales; ils établissent le risque global de la population. Ils sont souvent considérés comme les causes des causes de la maladie.

Le FACTEUR DE RISQUE est un terme général qui comporte malheureusement une certaine ambiguïté. L’intention est de se référer à un facteur qui augmente la probabilité d’un état de santé futur défavorable, mais les facteurs de risque ne sont ni nécessaires ni suffisants comme influences causales. Le tabagisme augmente considérablement les risques de maladies pulmonaires, mais les maladies pulmonaires peuvent survenir pour d’autres raisons, et de nombreux fumeurs n’attrapent pas de maladies pulmonaires.

Les facteurs de risque comprennent également des variables qui ne sont pas causales : elles peuvent simplement être associées au facteur causal. Le sexe ou l’augmentation de l’âge peuvent ne pas être eux-mêmes à l’origine de la maladie, mais sont associés à des niveaux d’hormones qui peuvent l’être. Les termes « marqueur de risque » ou « indicateur de risque » sont des termes plus précis pour faire référence à un facteur corrélé à un facteur causal. De tels marqueurs sont utiles pour identifier une personne à risque, mais ne représentent pas une cible appropriée pour une action visant à réduire ce risque.

Comportements personnels en matière de santé et habiletés d’adaptation

De nombreux déterminants sociaux en amont influencent la santé par le biais de comportements personnels, notamment le tabagisme, l’abus des substances, l’alimentation et l’exercice physique. Le comportement de santé se réfère aux actions qui influencent si une personne va tomber malade ou non; le comportement de maladie se réfère à ses réactions quand il le fait, y compris s’il demande ou non des soins, puis suit les recommandations du médecin. Le comportement de la maladie est influencé par les attentes sociales, décrites par les sociologues en termes de « rôle de malade », qui fait référence aux attentes de la société à l’égard d’une personne malade. La société permet à la personne malade d’être exemptée de ses rôles sociaux normaux, mais en retour, on s’attend à ce qu’elle essaie de recouvrer la santé, en partie en cherchant à obtenir des soins médicaux compétents et en suivant les recommandations du médecin, y compris la modification des comportements de santé.63, 64 

Les cliniciens trouvent généralement que modifier le comportement de santé des patients (les aider à arrêter de fumer, faire de l’exercice, etc.) est lent et difficile. Cela s’explique en partie par le fait que les comportements en matière de santé ne sont pas seulement une question de choix personnel, mais sont fortement influencés par les pressions sociales et culturelles, de sorte que le changement est le plus susceptible de résulter de l’évolution des déterminants sociaux (voir « Changer les pratiques personnelles en matière de santé »). La psychologie offre plusieurs modèles théoriques qui décrivent les influences personnelles et contextuelles sur le comportement de santé ; ces modèles aident à expliquer pourquoi le comportement est souvent si difficile à changer. L’un des plus anciens et des plus connus est le Modèle des croyances relatives à la santé (Health Belief Model).

L’évolution des pratiques personnelles en matière de santé

L’usage du tabac. Les taux de tabagisme sont en déclin dans la plupart des pays industrialisés, sauf en Chine. Le Canada nous fournit bon exemple de cette victoire pour la santé publique. Selon l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESUTC), menée annuellement, la proportion des Canadiens qui disent « fumer quotidiennement ou à l’occasion » est passée de 25 % en 1999 à 18 % en 2008 et à 10% en 2020. Cependant, l’industrie du tabac exerce toujours une pression importante pour s’imposer. La fabrication du tabac est une industrie importante au Canada et la production du tabac est en croissance, ce qui contribue aux disparités internationales en santé.65

L’alimentation. Les aliments que nous consommons et notre niveau d’activité physique ont des effets directs sur notre poids. Environ 65 % des Canadiens âgés de 20 ans et plus en 2013 faisaient de l’embonpoint ou étaient obèses (indice de masse corporelle (IMC) > 25), comparativement à 71 % aux États-Unis, 56% en France et à 29 % au Japon.66, 67 Un IMC élevé, un mode de vie sédentaire et une mauvaise alimentation augmentent les risques de diabète, de maladies cardiovasculaires, d’arthrose, et ont d’autres conséquences médicales et sociales négatives. Comme c’est le cas pour l’usage du tabac, il existe d’importants déterminants sociaux et commerciaux qui favorisent l’obésité dans la société. Par exemple, les bonnes habitudes alimentaires sont plus coûteuses, et les familles à faibles revenus n’ont souvent pas les moyens de bien s’alimenter. En outre, le sel, le sucre et les matières grasses peuvent créer une dépendance de manière très semblable à la nicotine : le potentiel d’accoutumance du sel et du sucre permet à l’industrie alimentaire d’inciter les gens à surconsommer.66

L’activité physique. Les preuves que l’activité physique est associée à des résultats bénéfiques pour la santé proviennent en grande partie d’études observationnelles. Les résultats des études d’intervention sont beaucoup moins clairs, en partie à cause de l’efficacité variée des interventions de changement de comportement, et en partie à cause des différentes populations étudiées. Cela a compliqué l’incorporation d’une prescription d’exercice claire dans la pratique clinique; des revues Cochrane sont disponibles pour les prescriptions d’exercice pour diverses conditions et montrent des résultats mitigés. Les recommandations en matière d’activité physique sont également influencées par la conception communautaire, comme lorsque les gens qui vivent dans des quartiers où la criminalité est élevée évitent les activités physiques en plein air.

Le Modèle des croyances relatives à la santé

Le Modèle des croyances relatives à la santé (MCS) a d’abord été proposé par G.M. Hochbaum en 1958 pour résumer les facteurs qui expliquent la participation aux programmes de prévention, à l’origine dans le contexte de dépistage de la tuberculose :

  1. La personne se sent-elle motivée à agir? Cet élément est influencé par le degré auquel elle se croit susceptible à la maladie en question et par la gravité perçue de la maladie.
  2. La personne croit-elle que l’action recommandée est efficace? Préviendra-t-elle la maladie ou en réduira-t-elle la gravité? Y a-t-il des coûts ou des limites sur le plan psychologique, financier ou autre, liés à l’action proposée?
  3. Un certain signal doit également déclencher un véritable changement dans le comportement. Ce peut être un signal interne (l’apparition de symptômes) ou externe (un ami qui tombe malade, ou les conseils du médecin).68

La figure 2.4 est un croquis des composantes du modèle.

Figure 2.5 : Aperçu schématique du Modèle des croyances relatives à la santé
Figure 2.4 : Aperçu schématique du Modèle des croyances relatives à la santé

Quel est la validité du Modèle des croyances relatives à la santé?

Selon une analyse documentaire réalisée par Janz et Becker sur la valeur prédictive du MCS, les études prospectives témoignent de sa validité prédictive. Les obstacles perçus quant à l’action semblent être le meilleur indice du comportement subséquent.69 Plusieurs études évaluent la capacité du MCS à prédire le recours au dépistage mammographique, et le Modèle est utilisé pour orienter la conception d’interventions visant à promouvoir ce dépistage. Les interventions qui tiennent compte des facteurs précisés par le Modèle ont tendance à donner de meilleurs résultats, bien que d’autres caractéristiques de l’intervention restent importantes.70 Ces découvertes ont inspiré des modifications au modèle.

La Théorie du comportement planifié

Élaborée dans les années 1980, la Théorie du comportement planifié (TCP) d’Ajzen a élargi la portée du Modèle des croyances relatives à la santé. Comme pour le MCS, cela suppose que les comportements de santé peuvent être analysés en termes de planification rationnelle,71 comme le résume la ligne supérieure de la figure 2.5. Mais la théorie intègre aussi des influences sociales et culturelles via l’idée de normes subjectives : la perception par la personne de pressions sociales pour se comporter d’une certaine manière (ligne du milieu de la figure). Les normes subjectives incorporent les croyances de la personne sur la façon dont les autres perçoivent ses comportements actuels et proposés, et la valeur qu’il accorde aux opinions de son groupe de référence. Le troisième élément de la TCP concerne la question de savoir si la personne se sent capable ou non d’apporter le changement proposé – son contrôle comportemental perçu. Cela reflète sa perception des obstacles à l’action et sa confiance en sa capacité de surmonter ces obstacles, une notion qui ressemble à l’auto-efficacité.

Figure 2.6 : Aperçu schématique de la Théorie du comportement planifié
Figure 2.5 : Aperçu schématique de la Théorie du comportement planifié

Quel est la validité de la Théorie du comportement planifié?

La validité de la TCP est appuyée par une quantité impressionnante d’articles publiés, dont plusieurs revues systématiques et méta-analyses. Par exemple, selon une méta-analyse datant de 1991, les variables de la TCP expliquent 50 % des variances dans l’intention comportementale (selon 19 études) et 26 % des variances dans la prévision du véritable comportement (selon 17 études).71 Selon un examen systématique datant de 1996, la Théorie expliquerait 41 % des variances dans l’intention et 34 % des véritables comportements liés à la santé.72

En 2001, Armitage et Conner publient une méta-analyse de 185 études, représentant un échantillon de plus de 300 000 sujets. La plupart des études sont transversales, mais 44 études longitudinales prouvent la validité prédictive des intentions comportementales, et 19 études prédisent le véritable comportement. Les résultats sont semblables : à peu près le tiers de la variance des comportements est prédit par la Théorie.73

Ces modèles nous rappellent du vaste éventail de facteurs qui influencent les comportements liés à la santé et aident ainsi à déterminer pourquoi un simple conseil ne suffit pas pour modifier le comportement d’un patient. Par contre, les modèles indiquent également que les facteurs qui influencent les comportements sont logiques et les comportements liés à la santé ne sont donc pas si mystérieux. La majorité des stratégies visant à modifier les comportements liés à la santé (qui sont évidemment les plus intéressantes pour le médecin) se fondent sur ces idées et font l’objet du huitième chapitre.

D’autres termes appliqués aux facteurs inclus dans ces modèles comportementaux mentionnent les facteurs de prédisposition, d’habilitation et de renforcement. Les facteurs prédisposants comprennent, par exemple, la sensibilisation de la personne à la santé et ses attitudes à l’égard des risques pour la santé, ainsi que les pressions sociales qui s’exercent sur elle pour qu’elle se comporte d’une certaine façon. Mais ces facteurs sont insuffisants pour déclencher le changement, et les facteurs habilitants aident à la transition réelle vers un nouveau comportement. Par exemple, un employeur est prêt à parrainer l’inscription d’un employé à un programme de désintoxication. Mais notez que d’autres facteurs favorables tels que la disponibilité immédiate de médicaments peuvent également favoriser le maintien du comportement. Les facteurs de renforcement maintiennent le processus de changement. Certains sont internes, comme l’amélioration des sentiments de santé et la motivation que cela apporte; d’autres sont sociaux, comme le soutien du conjoint ou la surveillance par le médecin, et d’autres sont environnementaux, comme les zones non-fumeurs.

Rassembler le tout : Les interactions entre les déterminants

Les paragraphes précédents ont résumé chaque déterminant et facteur de risque en isolation, mais nous sommes tous exposés à ces facteurs en combinaison. De plus, les différents déterminants et facteurs de risque peuvent créer des boucles de rétroaction. Par exemple, les logements surpeuplés causent une hausse de la transmission des infections, et donc une augmentation des arrêts de travail, et donc une diminution du revenu, ce qui force les gens à vivre dans des logements surpeuplés. Cela se voit dans la situation du fils de Mme Sulawesi.

Le pronostic de Peter Sulawesi

Le Dr Rao continue de réfléchir aux déterminants sociaux de la santé de Peter Sulawesi : vivre dans des conditions difficiles et dans des logements insalubres, fils d’une mère réfugiée vivant dans une culture étrangère. Il manque l’école pour des raisons de santé, ce qui peut contribuer à une mauvaise réussite scolaire, ce qui augmente ses chances de rester pauvre.

Maintenant, réfléchissez aux déterminants sociaux pour le cas de Paul Richard. Comment jugez-vous son pronostic ? De quelle manière le Dr Rao pourrait-il plaider en sa faveur?

Au lieu d’une chaîne causale, les associations complexes entre les déterminants et les facteurs de risque sont souvent décrites comme une toile causale, véhiculant l’idée de multiples voies causales reliant les influences externes, sociétales par de couches intermédiaires aux facteurs de risque individuels.74 La figure 2.6 illustre un modèle concentrique typique des déterminants sociaux, proposé par Dahlgren et Whitehead.75 Ces modèles, qui englobent les facteurs nationaux, communautaires et individuels, sont généralement décrits comme des modèles socio-écologiques ou éco-sociaux des déterminants de la santé en ce qu’ils mettent l’accent sur l’environnement social.76

L’écologie et les modèles éco-sociaux

L’écologie est le secteur de la biologie qui étudie les relations entre les organismes et leur milieu, y compris d’autres organismes. Oikos (translittéré en « éco ») est un mot grec qui signifie habitat ou maison. Les modèles éco-sociaux cherchent à intégrer les influences sociales et biologiques dans leur contexte historique et écologique pour mieux expliquer la dynamique des déterminants de la santé. Voir, par exemple, un livre de Krieger.77

Étant donné que les modèles éco-sociaux sont destinés à s’appliquer à n’importe quel état de santé, ils n’illustrent généralement pas les voies spécifiques par lesquelles les déterminants produisent un état de santé particulier. La plupart des déterminants sont, en effet, non spécifiques (récession, pauvreté, manque d’éducation) bien que certains (comme les lois sur l’alcool ou le tabac) ciblent des comportements ou des maladies particulières (voir l’encadré « Les modèles de déterminants de la santé »).

Figure 2.7 Modèle conceptuel des influences sur la santé de Dahlgren et Whitehead
Figure 2.6 Modèle conceptuel des influences sur la santé de Dahlgren et Whitehead

Les modèles de déterminants de la santé : spécifiques ou généraux?

La question suscite un débat intéressant : est-il possible qu’un modèle général puisse expliquer l’action des déterminants sociaux, ou les modèles doivent-ils représenter des groupes particuliers? Cette question a fait l’objet des propos de Reading et Wein sur les populations autochtones78 et de ceux de Dyck sur la population métisse. Le document sur les déterminants sociaux de la santé métisse peut être consulté (en anglais) sur le site Web de l’Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA).

Des modèles plus détaillés de l’interaction entre les déterminants et les facteurs de risque sont utilisés depuis longtemps dans les maladies infectieuses, dans lesquelles un cas de maladie résulte d’une interaction entre la personne ou l’hôte, l’agent pathogène (virus, bactérie ou substance ingérée, comme la fumée de tabac) et l’environnement : voir la figure 2.7. Ce « triangle épidémiologique » s’applique aux phases préclinique et clinique de l’ÉVOLUTION CLINIQUE de la figure 2.3. Appliqué à une maladie non infectieuse, le facteur causal immédiat, comme une plaque d’athérosclérose dans une artère coronaire dans le cas d’un infarctus du myocarde, forme l’agent.

Figure 2.8 : Le triangle épidémiologique : agent, hôte et facteurs environnementaux
Figure 2.7 : Le triangle épidémiologique : agent, hôte et facteurs environnementaux

Le triangle épidémiologique explique bien les cas de maladie existants, mais (à tout le moins jusqu’à ce que les analyses génétiques deviennent beaucoup plus perfectionnées), nous ne pouvons pas prédire de manière précise qui tombera malade après une exposition à un agent pathologique. Nous avons recours à la probabilité pour aborder cette incertitude. On parle ainsi de facteurs de risque qui augmentent la probabilité statistique qu’une personne tombera malade (voir PROBABILITÉ et VRAISEMBLANCES dans le glossaire). On a recours au langage probabiliste des facteurs de risque parce que très peu de causes produisent inévitablement des conséquences pour la santé : d’autres facteurs modifient toujours leur effet. Les cultures traditionnelles attribuaient souvent ces différences individuelles au destin, à la saison de naissance, au karma, mais on parle aujourd’hui de variations aléatoires. Comme la science offre de plus en plus d’explications de la maladie, la proportion des variations de la santé jugées aléatoires ne cesse de diminuer (voir « Le rôle du hasard » dans Pour les mordus). La question de savoir si la science sera un jour capable de prédire le temps et la cause du décès d’un patient est une question à laquelle vous devez réfléchir.

Le rôle du hasard dans la maladie

Une grande partie de la pratique clinique implique de naviguer parmi les incertitudes : quelles sont les risques de mon patient de développer une maladie ; quelle est la probabilité qu’il réagisse à cette thérapie? Cette incertitude stimule la réflexion sur le rôle du hasard. Peut-être que le hasard joue un rôle inhérent dans le développement d’une maladie (Dieu joue-t-il vraiment les dés)? Les processus qui sont intrinsèquement imprévisibles sont appelés hasard aléatoire ou incertitude (du latin alea, pour un dé).

Parallèlement, le hasard peut faire référence à des cas de maladie que nous ne pouvons pas encore expliquer étant donné les limites de nos connaissances scientifiques actuelles. C’est ce qu’on appelle le hasard épistémologique.79 Les facteurs à découvrir amélioreront probablement notre compréhension à l’avenir, mais jusqu’où cela peut-il aller? On a bon espoir que la génomique permettra de déterminer avec plus de précision le risque de maladies futures, mais il existe aussi des arguments selon lesquels l’expression génétique peut avoir une composante stochastique ou aléatoire, ce qui rend impossible à prédire au niveau individuel. Isaac Asimov a exploré ce thème dans ses romans « Fondation » dans le personnage de Harry Selden, un mathématicien qui a développé la psychohistoire, qui prédit tout, mais seulement au niveau de la population, laissant un équilibre entre l’individualisme et la prédétermination.

Le dépistage d’une maladie réduit l’incertitude épistémologique, mais il reste toujours une incertitude (voir le chapitre 9). Pour répondre à la question d’un patient quant à savoir s’il développera ou non un cancer, il y a un mélange : nous pouvons peut-être affiner l’estimation de la probabilité en recueillant plus d’informations, mais on peut soutenir de façon convaincante qu’il restera toujours un certain degré d’incertitude, car nous ne pouvons pas anticiper tous les facteurs environnementaux possibles dans la triade épidémiologique qui pourrait agir à l’avenir. Une réponse clinique courante à cette incertitude est de noter qu’il ne peut y avoir d’estimation correcte du risque futur d’un patient, mais qu’il peut faire une estimation personnelle et subjective et agir en conséquence.

Modifier les facteurs de risque

Les efforts de prévention ciblent des facteurs de risque modifiables, en particulier ceux dont l’effet sur la santé n’est pas conditionné par d’autres facteurs intermédiaires : p. ex., limiter la consommation d’alcool. En raison de leur effet direct, ces facteurs font souvent l’objet d’une législation. D’autres facteurs de risque font partie d’un réseau causal complexe, comme l’effet du régime alimentaire sur la coronaropathie. La modification d’un seul de ces facteurs peut ne pas affecter l’issue de la maladie : la toile causale tient bien même lorsque certains brins sont cassés. Un examen de l’impact de la modification même de facteurs de risque multiples pour les maladies cardiovasculaires a montré que même si d’améliorations des facteurs de risque pouvaient être obtenues, cela avait peu d’impact sur la morbidité ou la mortalité des maladies cardiovasculaires.80 Bien qu’un clinicien puisse faire des recommandations diététiques à un patient à risque, une société libéral est peu susceptible d’accepter une législation sur l’alimentation au-delà de l’interdiction des boissons sucrées à l’école ou de l’obligation d’afficher des informations diététiques sur les étiquettes des aliments. En appliquant la pensée éco-sociale, les défenseurs de la santé des populations soutiennent que l’attention devrait être dirigée en amont, vers les déterminants sous-jacents qui donnent naissance à des groupes de facteurs de risque, plutôt que de cibler des facteurs spécifiques et des maladies particulières.

Monter en amont : la santé des populations

Le modèle écologique de la santé vu au premier chapitre est souvent représenté par des cercles concentriques de déterminants entourant la personne, comme on le voit à la figure 2.6. La figure 2.8 intègre la métaphore des cercles concentriques et l’analyse causale des déterminants avec les cibles d’intervention. La moitié supérieure du diagramme illustre deux aspects d’une explication : le pourquoi et le comment. Pour expliquer les raisons de la prévalence d’une maladie, il faut probablement chercher dans les cercles externes du diagramme (la partie nord-ouest), tandis que les réponses aux questions sur les mécanismes se trouveront principalement dans les cercles internes (le côté nord-est). Un médecin comme Dr Rao qui traite un patient fait porter la prise en charge vers les cercles internes : Peter Sulawesi et son environnement immédiat. Par contre, les médecins en santé publique abordent des déterminants plus vastes (collaborer avec l’autorité de logements pour améliorer les normes de logement). Leur travail porte donc sur les cercles intermédiaires. Parallèlement, le ministre de la Santé et le ministre de l’Environnement devront considérer les déterminants plus vastes, dans les cercles externes du diagramme. Ensemble, ces approches se complètent et forment un ensemble exhaustif d’approches pour améliorer la santé individuelle et collective.

Les flèches de la partie sud-ouest de la figure 2.8 illustrent l’idée que les déterminants environnementaux exercent leur influence de l’extérieur vers l’intérieur : les politiques nationales influencent les communautés, les politiques urbaines influencent les quartiers, puis les personnes. Par contre, la partie sud-est suggère que les comportements des personnes peuvent aussi influencer leur environnement. Ainsi, les facteurs de risque et les facteurs protecteurs des niveaux internes se rassemblent pour former des niveaux externes d’influence. Il ne s’agit pas d’un simple résumé, car de nombreuses interactions se produisent, sous la forme de mouvements politiques et sociaux. Les facteurs de risque individuels découlent des normes culturelles, mais aussi les influencent à leur tour, pour former des déterminants au niveau du groupe. Cette distinction revient aux points de vue alternatifs de la santé de la population – comme un agrégat d’individus ou comme quelque chose de plus grand que la somme de ses parties.

Figure 2.9 : Un modèle écologique des influences sur la santé
Figure 2.8 : Un modèle écologique des influences sur la santé

Les deux perspectives sur la santé de la population ont été décrites par l’épidémiologiste britannique Sir Geoffrey Rose comme la distinction entre les causes des tendances de l’incidence et les causes des cas individuels.81, 82 Cette distinction est illustrée à la Figure 2.9 qui fait le lien avec les perspectives clinique et de santé de la population. Les analyses dans la partie supérieure de la figure représentent la perspective de la santé de la population; elles se concentrent sur les causes des tendances en santé dans la population et parlent en termes de pressions écologiques générales (ou déterminants) agissant sur des groupes entiers. Cela permet de prédire le risque absolu, ou le nombre de cas d’une maladie – les taux d’incidence. Les analyses de la moitié inférieure du diagramme reflètent une perspective clinique et parlent en termes de facteurs de risque individuels et de risque relatif : quelles personnes sont les plus susceptibles de tomber malades et pourquoi? Selon cette perspective, la santé s’explique par la compréhension des caractéristiques individuelles.

En fin de compte, les perspectives individuelles et démographiques sont précieuses, la première pour le clinicien qui s’attaque aux facteurs de risque d’un patient, et la seconde pour le spécialiste de la santé publique qui opère sur des populations entières.

Figure 2.10 Perspectives complémentaires sur l’analyse de la santé d’une population
Figure 2.9 Perspectives complémentaires sur l’analyse de la santé d’une population

Questions d’auto-évaluation

1. Quels sont les « déterminants sociaux de la santé »?

Ce sont les aspects de la structure sociale, du fonctionnement et des institutions d’une société qui représentent, par de nombreuses voies distinctes, les causes sous-jacentes des profils de la santé. Il existe de nombreuses listes de déterminants, dont celle des 12 déterminants de l’Agence de la santé publique du Canada (le niveau de revenus et la situation sociale, les réseaux de soutien social, le niveau d’instruction, l’emploi et les conditions de travail, l’environnement social, l’environnement physique, les habitudes de vie et les compétences d’adaptation personnelles, le développement sain durant l’enfance, le patrimoine biologique et génétique, les services de santé, le sexe et la culture).

2. Décrivez les voies par lesquelles les déterminants sociaux influent sur la santé d’une population.

C’est la grande question, et elle n’est toujours pas résolue; comment, exactement, ces forces externes réussissent-elles à « percer la carapace » d’une personne? De prime abord, on peut citer les voies comme les expositions différentielles (les lieux de résidence et de travail, etc.); les différents profils de comportements liés à la santé et de modes de vie, définis socialement dans les deux cas; l’accès différentiel aux ressources comme l’alimentation et les soins de santé adéquats, qui peuvent entraîner des écarts dans la prévention et les soins lorsqu’un problème survient; les différents profils de sentiments et d’émotions qui peuvent aider à affronter l’adversité, y compris les problèmes de santé (désespoir vs confiance, sentiment de contrôle ou d’auto-efficacité, etc.); ainsi que les différents niveaux de rapports sociaux qui peuvent fournir une aide pratique et des renseignements fiables, ainsi qu’un soutien affectif.

3. Que signifie l’expression « iniquités en santé »?

Ce sont les inégalités en santé qui entraînent un désavantage systématique chez un groupe identifiable et que l’on peut prévenir et corriger (du moins en théorie) : les éléments comme le manque d’accès aux soins de santé pour les personnes non assurées ou la vie plus courte des personnes pauvres. Les iniquités nous portent à agir sur le plan éthique.

4. Illustrez par des exemples comment le genre peut occasionner des iniquités en santé.

Notons que cette question peut s’appliquer à toute autre division sociale identifiable. Pour le genre, on peut d’abord s’interroger sur les valeurs sociales : les femmes sont-elles traitées de manière égalitaire, ont-elles un accès égal aux ressources et aux possibilités et sont-elles réellement respectées? Existe-t-il des programmes visant à atteindre une véritable égalité des chances (p. ex., des programmes de leadership à l’intention des femmes)? Là où les femmes sont jugées égales aux hommes, respecte-t-on aussi les différences entre les sexes, par exemple dans les approches diagnostiques et les traitements médicaux?

5. En tant que médecin, que pouvez-vous faire pour contrer les iniquités en santé?

Jouer un rôle de promoteur : promulguer des mesures préventives efficaces et factuelles pouvant être appliquées de manière universelle et ainsi réduire les iniquités. Les médecins sont très respectés dans la société et peuvent exercer des pressions efficaces sur les gouvernements pour attirer l’attention sur des enjeux sociaux. Si vous signalez les répercussions sanitaires d’une iniquité, en citant des exemples précis et réels, votre public ne pourra faire autrement que de considérer l’enjeu d’un point de vue personnel : les gens se diront « je risque, moi aussi, d’attraper telle ou telle maladie », ou « en tant que contribuable, c’est moi qui paie pour les soins dispendieux pour les maladies évitables », etc. Les médecins peuvent aussi proposer des actions efficaces pour corriger les iniquités : il s’agit souvent de règlements très simples comme d’interdire les jouets dangereux, d’installer une barrière en haut des escaliers dans les maisons où vivent des tout-petits, ou de faire la promotion des sièges d’auto pour les enfants.

6. À quelle étape du parcours de vie le praticien de santé publique devrait-il intervenir pour prévenir le plus de maladies possible?

On s’entend généralement sur le fait que le plus rentable est de favoriser le développement sain du jeune enfant. Voir les écrits de Fraser Mustard à ce sujet.

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