Après avoir achevé ce chapitre, le lecteur sera en mesure :
1. d’aborder les concepts du parcours de vie et de l’histoire naturelle de la maladie, notamment à l’égard des interventions possibles en santé publique et sur le plan clinique (Conseil médical 78-1)
2. de comprendre les quatre niveaux de prévention (primordiale, primaire, secondaire et tertiaire) (78-3)
3. de reconnaître le rôle que jouent les médecins dans la promotion de la santé et la prévention des maladies auprès des personnes et des communautés, y compris la protection de la santé et la promotion de la santé (78-3)
4. de décrire les cinq stratégies de promotion de la santé de la Charte d’Ottawa et de les appliquer aux situations pertinentes.
Faire le lien entre ces connaissances et les objectifs du Conseil médical du Canada, notamment le chapitre 78-3.
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Les mots en MAJUSCULES sont définis dans le Glossaire.
Le diabète de Catherine Richard
L’histoire naturelle de la maladie et les étapes de la prévention
Dans le premier et le deuxième chapitre, nous avons présenté l’HISTOIRE NATURELLE de la maladie : de l’exposition aux agents causaux jusqu’aux résultats finaux. S’il connaît l’histoire naturelle caractéristique d’une maladie, le médecin peut établir un pronostic et repérer les occasions de prévention et de contrôle.1 Par exemple, selon ce qu’il sait au sujet du diabète de type 2, le Dr Rao peut s’inquiéter que sa patiente Catherine Richard peut s’attendre à une perte d’acuité visuelle, à une insuffisance rénale et peut-être à l’amputation d’un membre si elle ne fait rien pour lutter contre sa maladie. Si son médecin connaît l’histoire naturelle du diabète, il aura aussi une bonne idée du temps dont il dispose pour en altérer l’ÉVOLUTION CLINIQUE (voir Glossaire) et prévenir les complications.
Idéalement, la prévention aura lieu avant que la personne ne contracte une maladie. Les programmes préventifs sont donc souvent proposés aux personnes en santé dans la population générale. Mais à quel stade de l’histoire naturelle devrions-nous intervenir? La métaphore de l’iceberg de la maladie nous rappelle que pour chaque cas présenté à un médecin, il est probable que beaucoup d’autres personnes dans la communauté sont atteintes de la maladie à un stade préclinique, et qu’encore plus de gens présentent des facteurs de risque liés à l’affection. Pour certaines conditions (maladies parasitaires d’origine hydrique, maladies respiratoires dues à la pollution de l’air), pratiquement tous les membres de la population sont sensibles, de sorte que la prévention peut à juste titre cibler l’ensemble de la population. Pour d’autres affections (cancer du sein), certains groupes sont plus à risque, de sorte que la prévention peut se concentrer sur ces groupes. Le chapitre 2 distingue entre l’approche de santé de la population, qui cible des populations entières, et des programmes de santé publique qui ciblent souvent des groupes identifiables. Pour planifier un programme de prévention il faut connaître la répartition de l’affection dans la population et savoir repérer les futurs cas.
La figure 4.1 fait le lien entre les phases de l’histoire naturelle et de l’ÉVOLUTION CLINIQUE d’une maladie et les étapes successives des stratégies de prévention. Les diverses stratégies préventives sont offertes par différents groupes, à différents endroits.

À titre d’introduction, la figure 4.1 classe les mesures préventives en quatre grandes étapes, bien que celles-ci ne soient pas clairement délimitées.
La prévention primordiale désigne les mesures prises pour modifier les déterminants de la santé et ainsi inhiber l’établissement de facteurs environnementaux, économiques, sociaux, comportementaux, ou culturels qui augmentent l’incidence de la maladie.2 Elle touche aux déterminants sociaux plutôt que de modifier les facteurs de risque chez l’individu, ce que la prévention primaire se donne comme objectif. Ainsi, l’interdiction de l’alcool dans certains pays représente une mesure de prévention primordiale, mais les campagnes contre la conduite en état d’ébriété sont un exemple de prévention primaire.
On peut citer d’autres exemples de la prévention primordiale, tels que l’amélioration de l’hygiène (pour empêcher l’exposition aux agents infectieux), le développement de communautés saines, la promotion d’un mode de vie sain à un jeune âge (par ex. les programmes de développement du jeune enfant) ou les stratégies éco-énergétiques. L’article de Starfield et coll. en donne d’autres exemples.3 Ainsi, pour prévenir le diabète de Catherine Richard, on aurait pu avoir recours à des programmes de conditionnement physique subventionnés au centre sportif, qui rendraient l’activité physique plus abordable pour les femmes comme Catherine et feraient en sorte que l’exercice devienne une activité normale pour les femmes de sa communauté. Bien que ces programmes soient à l’échelle de la population, les cliniciens ont aussi un rôle à jouer, en attirant l’attention sur les problèmes et en promulguant des mesures axées sur leurs déterminants.
Des communautés saines
La prévention primaire veille à prévenir l’apparition de certaines maladies par la réduction des risques, soit en modifiant les comportements ou les expositions qui peuvent entraîner des maladies, soit en améliorant la résistance aux agents infectieux. La prévention primaire réduit l’incidence des maladies; l‘arrêt du tabac et la vaccination en sont des exemples. Certaines approches prévoient une participation active, comme se brosser les dents régulièrement ou se passer la soie dentaire pour prévenir les caries. D’autres approches sont passives : ajouter du fluorure à l’eau potable municipale pour durcir l’émail des dents et prévenir les caries. La prévention primaire cible généralement les causes spécifiques et les facteurs de risque de maladies spécifiques, mais elle cherche également à promouvoir les comportements sains, à améliorer la résistance des hôtes et à favoriser des environnements sécuritaires qui réduisent le risque de diverses maladies, par exemple en nettoyant les salles d’opération pour prévenir les infections postopératoires. Les efforts de prévention primaire peuvent cibler chaque élément dans le modèle causal agent-hôte-environnement vu au deuxième chapitre.
La prévention secondaire comprend les méthodes de détection et de traitement des changements pathologiques précliniques afin d’enrayer l’évolution des maladies. Les méthodes de dépistage (comme la mammographie pour détecter le cancer du sein à un stade précoce) sont souvent la première étape. Elles favorisent l’intervention précoce, ce qui est plus économique que d’intervenir après l’apparition des symptômes. Les tests de glycémie réguliers administrés aux personnes de plus de 40 ans sont un exemple pertinent de dépistage dans le cas du diabète de Catherine. Le dépistage est habituellement effectué par des professionnels de la santé lors de rencontres individuelles médecin-patient (comme pour les tests réguliers de la tension artérielle) ou par des programmes de dépistage de santé publique (comme les programmes publics de mammographie). Les critères de mise en œuvre d’un programme de dépistage sont décrits dans le chapitre 9.
Une fois qu’une maladie se développe et qu’elle est traitée en phase clinique aiguë, la prévention tertiaire veille à réduire l’impact de la maladie sur les fonctions, la longévité et la qualité de vie du patient. Les activités de la prévention tertiaire ressemblent souvent à celles de la prévention primaire, mais ciblent des patients plutôt que les non-malades. La prévention tertiaire peut comprendre la modification des comportements du patient comme aider un patient cardiaque à perdre du poids, ou apporter des changements à l’environnement d’un patient asthmatique pour réduire son exposition aux allergènes. Dans le cas de Catherine Richard, elle pourrait comprendre des suivis réguliers de son état de santé, y compris des examens de la vue pour dépister d’éventuels effets indésirables du diabète. L’objectif principal est de maintenir la qualité de vie du patient. Si l’affection est irréversible, la prévention tertiaire est axée sur la réadaptation pour aider le patient à vivre avec son incapacité. Si l’affection est réversible, comme c’est le cas de nombreuses maladies cardiaques, la prévention tertiaire peut en réduire la prévalence dans la population, mais si l’affection ne peut être guérie, la prévention tertiaire peut en augmenter la prévalence en prolongeant la survie. Le tableau 4.1 illustre les niveaux primaire, secondaire et tertiaire de la prévention.
Table 4.1 : Exemples de mesures préventives primaires, secondaires et tertiaires ciblant des personnes et des populations
Maladie | Niveau d’intervention | Primaire | Secondaire | Tertiaire |
---|---|---|---|---|
Cancer colorectal | Personne | Promotion des modes de vie sains : conseils diététiques aux personnes qui présentent un risque de cancer colorectal, etc. | Analyse des selles (Hemoccult) pour le dépistage précoce du cancer colorectal | Examens de suivi pour déceler la récurrence ou la métastase d’une maladie : examen médical, test de mesure des enzymes hépatiques, radiographie thoracique, etc. |
Population | Campagnes de publicité pour informer le public des habitudes de vie qui préviennent le cancer colorectal; promotion d’une alimentation à haute teneur en fibres; subventions des programmes d’activité physique; campagnes de lutte contre le tabagisme | Programmes structurés de dépistage par coloscopie | Réorganiser les soins de santé pour améliorer l’accès aux soins de suivi de haute qualité | |
Maladies infectieuses : hépatite C | Personne | Conseils de réduction des risques de la consommation de drogue pour prévenir la transmission du virus de l’hépatite C (VHC); conseils sur les pratiques sexuelles à risques réduits | Dépistage de l’infection à VHC chez les patients ayant des antécédents d’usage de drogues par injection | Traitement du VHC pour guérir l’infection et prévenir la transmission |
Population | Éducation sur les pratiques sexuelles à risques réduits, programmes de lutte contre le partage d’aiguilles chez les utilisateurs de drogues par injection, etc. | Établissement d’un système universel d’analyse du VHC dans les groupes à risque élevé | (Semblable à la prévention primaire) : contrôle serré des sites à risques élevés associés aux éclosions, comme les salons de tatouage | |
Syndrome métabolique | Personne | Conseils sur la nutrition et l’activité physique | Dépistage du diabète | Orientation vers des cliniques de réadaptation cardiaque |
Population | Milieux bâtis favorables aux transports actifs (marche ou vélo), plutôt qu’à la voiture | Programmes communautaires de perte de poids et d’activité physique | Mise sur pied de cliniques multidisciplinaires |
Confusion secondaire
Un corps dans la rivière
On a introduit la métaphore des interventions « en amont » et « en aval » dans le deuxième chapitre. Les efforts en aval pour réanimer la victime (prévention tertiaire) illustrent une approche en aval, des mesures qui peuvent être jugées insuffisantes et tardives. La prévention secondaire porterait sur les activités en amont (littéralement…) et pourrait comprendre des mesures pour repérer les personnes suicidaires avant qu’elles ne passent à l’acte, peut-être en administrant de brefs tests de dépistage des symptômes dépressifs dans les cabinets de soins primaires suivis d’évaluations approfondies par un psychologue. Mais la réussite limitée des interventions psychologiques, et leur disponibilité limitée, suggèrent qu’il ne s’agit pas d’une mesure efficace pour prévenir le suicide. La prévention primaire ou primordiale pourrait s’avérer plus efficace dans ce cas. Elle représente une transition entre l’identification de solutions individuelles et les approches collectives et environnementales. La prévention primaire pourrait comprendre des programmes sociaux à l’intention des jeunes à risque dans les régions où le taux de suicide est élevé. Autrement on pourrait installer de filets de sécurité pour prévenir les gestes suicidaires, ce qui ne ferait que déplacer le problème à une autre locale. La prévention primordiale fait partie des approches de santé des populations, lesquelles impliquent un large éventail d’organismes gouvernementaux et portent principalement sur l’élaboration de politiques publiques saines et la modification des déterminants sous-jacents de la santé. Si l’on applique la prévention primordiale à l’exemple des corps dans la rivière, elle peut inclure l’attraction des petites industries vers la ville, l’amélioration de la formation à l’emploi des jeunes ou des programmes d’amélioration de l’environnement bâti.
Un deuxième coup d’œil sur les étapes de la prévention
Présenter la prévention comme une série d’étapes est utile pour donner un aperçu du sujet, mais il n’est pas toujours simple de classer une intervention à telle ou telle étape : cela dépend beaucoup du contexte.
Par exemple, la vérification (puis le contrôle) de la tension artérielle peut être une mesure de prévention primaire si l’affection que vous souhaitez prévenir est une crise cardiaque. Mais ce peut être une mesure de prévention secondaire si le patient a des antécédents d’hypertension et que vous effectuez un dépistage à cet effet – et ce peut même être une mesure de prévention tertiaire si le patient a déjà subi une crise cardiaque et que le but est de prévenir une récurrence. Ouf!
On a écrit que la prévention secondaire vise à freiner l’évolution d’une maladie ou de ses séquelles à n’importe quel stade après son apparition. De ce point de vue, le traitement d’une maladie peut être préventif s’il ralentit l’évolution de la maladie ou en prévient des effets néfastes. Sous une optique de santé publique, le traitement d’une maladie infectieuse peut même être considéré une mesure de prévention primaire, étant donné qu’il réduit le risque de transmission du virus.
Inversement, un usage excessif d’antibiotiques peut être perçu comme une force opposée à la prévention s’il contribue au développement d’organismes résistants. Les cliniciens devraient toujours peser les coûts et les avantages de traiter ou de ne pas traiter, comme ils le font lorsqu’il est question de prévention. Dans la même veine, on entend parfois l’expression « prévention quaternaire » : si un patient risque une surmédication, la prévention quaternaire le protège contre un nouvel acte médical invasif en proposant des interventions acceptables sur le plan éthique et en assurant la qualité des soins.5
La mise en œuvre de la prévention, de la protection de la santé et de la promotion de la santé
La prestation des programmes préventifs se fait par l’entremise de services de santé publique, de cliniciens individuels (souvent des omnipraticiens, des infirmières et des infirmières praticiennes) ou d’organismes communautaires (y compris des groupes de bénévoles, comme les étudiants contre l’alcool au volant, ou des groupes sans but lucratif). Le programme idéal a recours aux efforts coordonnés de divers organismes; au Canada, les exemples de bons programmes sont nombreux, mais leur coordination a tendance à se faire en vase clos par des agences qui en sont seules responsables, ce qui laisse des lacunes et crée des chevauchements entre les programmes. La difficulté est aussi d’adapter les programmes à la situation locale, car il n’existe pas de solution universelle. Nous aborderons ce thème dans la section traitant de la planification des programmes au douzième chapitre.
La protection de la santé
Par protection de la santé, on entend la vaste gamme d’activités menées par les services de santé publique et par certains organismes gouvernementaux, comme l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). La protection de la santé englobe la prévention primordiale et primaire. La protection comprend « l’hygiène alimentaire, la purification de l’eau, l’assainissement de l’environnement, la sécurité des médicaments et autres activités dans lesquelles l’accent est mis sur les mesures qui peuvent être prises pour éliminer autant que possible le risque de conséquences néfastes pour la santé imputables à des dangers environnementaux, tels que des aliments, de l’eau, ou des médicaments dangereux ou impurs. »6 La protection de la santé publique veille également à réduire les menaces environnementales à la santé de population, comme les agents biologiques, chimiques ou physiques qui peuvent causer une épidémie s’ils ne sont pas maîtrisés.
Les services de santé publique sont souvent tenus légalement de composer avec des menaces bien définies, que l’on peut détecter grâce à des systèmes de SURVEILLANCE, comme on le verra au septième chapitre. L’approche de protection de la santé varie en fonction du type de risque biologique, chimique ou physique dont il est question. Par exemple, les risques biologiques liés à certaines maladies transmissibles, comme ceux associés à la contamination de l’eau ou des aliments, seront gérés par des inspecteurs fédéraux, provinciaux et locaux. Les risques chimiques, comme ceux de la fumée secondaire du tabac, relèvent de lois et de règlements; pour les écarter, on impose des amendes. Les signaux d’avertissement sont souvent utilisés pour faire connaître les dangers et sensibiliser le public. Appliquée aux corps dans la rivière, une approche traditionnelle de protection de la santé publique ou de réduction des risques pourrait comprendre l’installation de filets de protection autour du pont. Même si ces filets n’empêchent pas une personne vraiment déterminée de se suicider, ils peuvent réduire les suicides impulsifs et rappellent aux passants que des personnes se sont suicidées à cet endroit. Leur visibilité peut être une aide indirecte, car elle augmente la vigilance du public et encourage les gens à prendre les signes précurseurs du suicide au sérieux.
La promotion de la santé
Alors que la protection de la santé vise à éliminer les influences négatives sur la santé, la promotion de la santé vise à améliorer la santé en développant une politique publique saine, des milieux sains et la résilience personnelle. Cela se rattache à une philosophie de soutien de l’autonomie individuelle et communautaire face à la santé. Lancée dans les années 1970 et 1980, la promotion de la santé s’inscrivait dans la continuité de l’éducation à la santé (en offrant des dépliants, des affiches, des cours d’éducation des patients, etc.) que l’on commençait à juger insuffisante en soi (voir « Les dépliants », ici bas). Les objectifs de la promotion de la santé englobent ceux de la prévention des maladies, mais ils vont plus loin. « La promotion de la santé comprend le renforcement des compétences des personnes en vue d’encourager les comportements sains. Elle comprend aussi la création de milieux sociaux et physiques sains à l’appui de ces comportements. »7 Il s’agit de « toute combinaison d’éducation à la santé et (des) interventions organisationnelles, économiques et politiques connexes conçues pour favoriser les changements comportementaux et environnementaux propices à la santé. »8
Un programme de promotion de la santé peut comprendre une mesure précise comme l’arrêt du tabac, mais l’aborde généralement dans le cadre d’un ensemble plus général d’interventions interdépendantes comprenant des modifications au milieu et au mode de vie qui appuient le non-usage du tabac. En améliorant les milieux et en favorisant des comportements sains par une approche de promotion de la santé, on contribue à la prévention primaire des maladies, mais cette approche doit également avoir un effet bénéfique plus large pour encourager les gens à assumer la responsabilité de leur santé. Cette idée touche aux préoccupations quant à l’érosion de la responsabilité individuelle à l’égard de la santé : comme on l’a vu au premier chapitre, dès qu’un traitement existe, les gens ont tendance à en dépendre plutôt que de se fier à leurs propres ressources. Si l’on applique cette idée aux corps dans la rivière, une approche de promotion de la santé pourrait d’abord découvrir la raison pour laquelle les gens se jettent dans la rivière, puis tenter de la corriger. On créerait par exemple des programmes pour aider les gens à composer avec le stress dans leur vie, en organisant par exemple des groupes d’entraide.
Les dépliants ne sont peut-être pas suffisants
La philosophie de la promotion de la santé
La promotion de la santé reflète un ensemble caractéristique de valeurs libérales, comme l’autoresponsabilité pour la santé, qui sous-tend largement la pensée de l’OMS : « La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci. » Cette définition provient de la conception de la santé de l’OMS décrite dans le premier chapitre : « La mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci.8 » En plus de l’autoresponsabilité, de nombreux facteurs « en amont » font partie des valeurs fondamentales de la promotion de la santé :
- la promotion de l’équité et de la justice sociale;
- l’application d’une définition holistique de la santé;
- la considération de tout l’éventail des déterminants de la santé;
- l’action sur les influences environnementales sur la santé;
- la responsabilisation des personnes et le renforcement des capacités individuelles et collectives;
- le désir d’accroître la participation sociale des personnes;
- la promotion d’une collaboration entre agences.
La promotion de la santé communautaire
La promotion de la santé de la population reconnaît qu’il est invraisemblable que les comportements liés à la santé changent de manière permanente à moins que les facteurs environnementaux qui les sous-tendent ne changent aussi. Elle adopte donc une approche écologique de mobilisation de la communauté et de modification du milieu, en plus de chercher à changer les comportements individuels. Il est rare que les gens modifient l’un de leurs comportements, sauf s’ils considèrent que c’est une priorité. Il en va de même pour une communauté, où il existe un ensemble de priorités plus ou moins bien définies pouvant appuyer ou inhiber les efforts de promotion de la santé. C’est pourquoi l’évaluation des besoins de la communauté est souvent la première étape d’une campagne locale de promotion de la santé : quelles sont les priorités de cette communauté? Est-ce qu’elles correspondent aux objectifs de l’équipe de promotion de la santé? Les centres de santé communautaires appliquent souvent une approche fondée sur les besoins lorsqu’ils planifient leurs programmes de promotion de la santé; ces centres invitent habituellement des représentants communautaires à siéger à leur conseil d’administration et planifient les programmes en fonction de la rétroaction de la communauté. L’implication des membres de la communauté dans le processus de planification offre non seulement de meilleures chances que le programme tienne compte des besoins locaux, mais il favorise l’appui et la participation de la communauté au programme. La conception du programme proprement dite peut se faire à la suite d’une conférence de cas rassemblant des experts dans les spécialités pertinentes, qui proposent des approches reflétant la situation locale.
Les principes qui sous-tendent la conception des stratégies de promotion de la santé sont décrits dans la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé.
La Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé
En 1986, Ottawa a été l’hôte d’une conférence internationale financée par l’OMS visant à établir les principes de base de la conception des programmes de promotion de la santé.8 Cela découle de la reconnaissance du fait que les interventions individualisées sont inefficaces si les gens manquent de ressources et de capacité d’agir pour modifier leurs comportements. Il faut établir des politiques structurelles pour créer des environnements favorables dans lesquels les individus auront de meilleures chances de développer des pratiques saines. La Charte issue de cette conférence se fonde sur une stratégie globale conçue en 1981 ayant pour thème « la santé pour tous d’ici à l’an 2000 »9. Elle énonce une gamme d’approches en amont et en aval dont on trouvera un aperçu dans l’encadré ci-dessous.
La Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé
La Charte d’Ottawa et le manifeste « Santé pour tous d’ici l’an 2000 » comprennent les stratégies suivantes :
- Établir une politique publique saine. L’objectif est de mettre la santé au programme de tous les décideurs afin qu’ils considèrent les répercussions liées à la santé dans leurs décisions. Une politique publique saine est une politique qui n’a pas d’effet négatif sur la santé en tentant d’atteindre un autre objectif.
- Créer des milieux favorables. L’accent mis sur le milieu reflète une sensibilisation quant à l’impact des environnements naturels, bâtis et sociaux sur la santé et propose une approche socioécologique à la santé.
- Renforcer l’action communautaire. La promotion de la santé exige une responsabilisation et un engagement de la part de la communauté dans la détermination des priorités, et la planification et la mise en œuvre de stratégies visant une meilleure santé.
- Développer les aptitudes personnelles. La promotion de la santé appuie le développement personnel et social en fournissant de l’information et en améliorant les aptitudes à la vie quotidienne.
- Réorienter les services de santé. La promotion de la santé préconise une répartition plus égale entre le traitement et la prévention des maladies dans l’attribution des ressources en santé. Essentiellement, les services de santé doivent être élargis pour comprendre les quatre stratégies ci-dessus, en plus des soins médicaux classiques. La responsabilité quant aux services de promotion de la santé doit être partagée entre les personnes, les groupes communautaires, les professionnels de la santé, les services de santé et les gouvernements.
La Charte définit également sept conditions préalables à la santé : la paix, un abri, de l’instruction, de la nourriture, un revenu, un écosystème stable et des ressources durables. Ces conditions préalables sont étroitement liées aux déterminants macrosociaux de la santé et sont essentielles pour comprendre pourquoi nous n’avons pas réussi à atteindre la « Santé pour tous d’ici l’an 2000 », même vingt-cinq ans plus tard.10, 11
Points de discussion : dans quelle mesure le monde a-t-il échoué à cet égard, et pourquoi? Comment un médecin peut-il influencer ces facteurs dans sa pratique?
Une application de la Charte d’Ottawa
Un programme de santé publique de Glasgow, en Écosse, a appliqué la Charte d’Ottawa dans le cadre d’une expérience visant à améliorer la santé dentaire des enfants de cinq ans vivant dans des quartiers défavorisés.12 La santé buccodentaire des enfants de Glasgow comptait en effet parmi les plus mauvaises d’Europe de l’Ouest.
Ce programme de prévention des caries « dès la naissance » a abordé les déterminants précoces de la carie dentaire liés au mode de vie. Les interventions ont été menées par des équipes de santé buccodentaire dans les 15 régions administratives de soins de santé du pays.
Voici des exemples des activités entreprises :
Établir une politique publique saine : éducation du personnel des jardins d’enfants; mise en œuvre de politiques de collations saines au jardin d’enfants; subventions à l’achat d’ustensiles et de mélangeurs pour aliments; dons de pâte dentifrice au fluor.
Créer des milieux favorables : organisation d’activités communautaires pour promouvoir la santé buccodentaire; changements apportés dans les jardins d’enfants; consultations communautaires offertes; cours de cuisson offerts.
Développer les aptitudes personnelles : adaptation en style clair et simple de la documentation disponible; formation aux techniques de brossage des dents; livres de chansons sur la santé dentaire.
Renforcer l’action communautaire : on a beaucoup insisté sur la mobilisation communautaire, y compris en créant des réseaux de militants bénévoles pour faire de l’action sociale, en aidant des groupes communautaires à trouver des moyens de promouvoir des activités et des comportements anticaries, et en formant des formateurs.
Réorienter les services de santé : les équipes d’intervention en santé buccodentaire ont fait la promotion de sessions de santé buccodentaire périnatale dans les cabinets de médecins; et l’on a créé des programmes de registres dentaires.
Le programme comprenait également une composante évaluative, laquelle fera l’objet d’une section dans le septième chapitre.
Questions d’auto-évaluation
1. Faites la distinction entre l’histoire naturelle et l’évolution clinique d’une maladie.
2. Le frottis cervical (« test Pap ») dépiste le cancer du col utérin chez les femmes à un stade précoce (avant l’apparition de symptômes, quand la maladie n’est pas visible à l’œil nu). Lequel des énoncés suivants s’applique au cas d’une femme sans antécédents de cancer du col utérin qui subit un test Pap?
A. Elle fait de la prévention primordiale.
B. Elle fait de la prévention primaire.
C. Elle fait de la prévention secondaire.
D. Elle fait de la prévention tertiaire.
E. Il s’agit d’un test de dépistage, et non d’une méthode de prévention.
Réponse C – Prévention secondaire
Explication :
A. La prévention primordiale s’exerce en amont dans la chaîne causale pour modifier les conditions sociales ou économiques générales pouvant donner lieu à des facteurs de risque. Le test Pap ne tient pas compte des conditions générales, mais d’un processus morbide particulier.
B. La prévention primaire veille à éviter la maladie – or, subir un test Pap ne prévient pas l’apparition de la maladie.
C. La prévention secondaire veille à interrompre le cours d’une maladie avant l’émergence de symptômes reconnus ou de résultats diagnostiques de l’affection. Le test Pap est une étape essentielle : il détecte le processus morbide avant l’émergence de symptômes.
D. La prévention tertiaire veille à éviter les séquelles d’un processus morbide une fois que la maladie est diagnostiquée et traitée. Le test Pap est lié à la détection précoce; il n’a rien à voir avec les effets subséquents de la maladie.
E. Oui, il s’agit bel et bien d’un test de dépistage, mais le dépistage fait partie intégrante d’une approche de prévention. On peut supposer que le but du test est de prévenir l’évolution du cancer.
3. Quelle est la différence entre les philosophies de la promotion de la santé et de la protection de la santé?
4. Donnez un aperçu des éléments de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé.
Bibliographie
1. Bhopal RS. Concepts of epidemiology. Oxford: Oxford University Press; 2002.
2. Porta M, editor. A Dictionary of Epidemiology. New York: Oxford University Press; 2008.
3. Starfield B, et al. The concept of prevention: a good idea gone astray? J Epidemiol Community Health. 2008;62:580-3.
4. Beaglehole R, Bonita R, Kjellström T. Basic epidemiology. Genève : OMS; 1993.
5. Flynn BC. Healthy cities: toward worldwide health promotion. Annu Rev Public Health. 1996;17:299-309.
6. Last JM. A dictionary of public health. New York: Oxford University Press; 2007.
7. Green L. National policy on the promotion of health. Int J Health Educ. 1979;22:161-8.
8. Organisation mondiale de la santé. Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Genève : OMS; 1986 [source citée en décembre 2015]. Disponible ici : http://www.euro.who.int/en/who-we-are/policy-documents/ottawa-charter-for-health-promotion,-1986.
9. Organisation mondiale de la santé. Global strategy for health for all by the year 2000. Genève : OMS; 1981 [source citée en décembre 2015]. Disponible ici : http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/38893/1/9241800038.pdf.
10. Bryant JH, Zuberi RW, Thaver IH. Alma Ata and health for all by the year 2000. The roles of academic institutions. Infec Dis Clin North Am. 1991;5(2):403-16.
11. Gunning-Schepers LJ. « Health for all by the year 2000 »: a mere slogan or a workable formula? Health Policy. 1986;6(3):227-37.
12. Blair Y, Macpherson L, McCall D, McMahon A. Dental health of 5-year olds following community-based oral health promotion in Glasgow, UK. Int J Paediatric Dentistry. 2006;16:388-98.